Syrie : un conflit menaçant

Quelle est aujourd’hui la plus grande menace pour la paix dans le monde? Malgré toute l’horreur qu’elles suscitent, ce ne sont pas les armes chimiques en Syrie. Ni même, pour le moment, une arme nucléaire iranienne. Non, la plus grande menace aujourd’hui, c’est le risque d’une vague de conflits interconfessionnels qui embraserait tout le Moyen-Orient.

Le conflit en Syrie est à la fois une guerre par procuration et un foyer de violence susceptible d’enflammer la région. Au départ, pourtant, il ne s’agissait pas d’une guerre de religion. Mais les responsables sunnites et chiites exploitent les symboles religieux et attisent les passions sectaires qui agitent l’ensemble de la région. Depuis les coulisses, les pouvoirs saoudien et iranien veillent, soutenant chacun son camp. Et alors que le nombre de morts ne cesse d’augmenter en Syrie, les images de massacres attirent les candidats à la guerre sainte de tous pays, proches et moins proches. Les groupes radicaux fournissent les combattants les plus efficaces et maîtrisent le rythme des événements. L’opposition syrienne elle-même est traversée par de profondes divisions sectaires.

Dans le même temps, le conflit semble en voie de propagation. En Irak, les violences entre sunnites et chiites s’intensifient. Des reportages dans le Times, entre autres, ont montré que de nombreux Irakiens craignaient de voir leur pays plonger à nouveau dans le chaos comme aux pires moments de la décennie précédente. Même des pays comme la Turquie, le Pakistan, le Bahreïn et le Koweït pourraient être touchés. «La situation pourrait dégénérer en une guerre de religion régionale, semblable à celle qu’a connue l’Irak entre 2006 et 2008, mais beaucoup plus étendue et sans l’influence modératrice qu’ont eue alors les troupes américaines», écrit Gary Grappo, un responsable du Foreign Office aujourd’hui à la retraite.

«Il est devenu clair au cours de l’année dernière que les soulèvements observés dans le monde musulman et arabe étaient en train de se muer en un conflit au sein d’une même civilisation plutôt qu’entre plusieurs civilisations», a récemment écrit Anthony Cordesman, du Center for Strategic and International Studies. La guerre civile qui oppose en Syrie les sunnites aux alaouites interfère de plus en plus avec les tensions entre sunnites et chiites dans le Golfe, tensions qui font à nouveau glisser l’Irak dans la guerre civile. Elle interfère également avec les dissensions entre sunnites et chiites, maronites et autres communautés religieuses au Liban.»

Pour certains experts, nous serions même en train d’assister à la naissance d’un seul et énorme conflit, sur fond de redistribution des pouvoirs, qui pourrait bien aboutir à la mise en place de nouveaux régimes et au tracé de nouvelles frontières en remplacement de celles établies après la Première Guerre mondiale. Les forces qui divisent les populations en groupes opposés semblent plus puissantes que celles capables de les maintenir unies.

Il paraît assez évident aujourd’hui que la récente stratégie américaine en faveur du retrait au profit d’une «empreinte légère» («light-footprint») et du développement national («nation-building at home») n’a pas arrangé les choses. Les Etats-Unis auraient pu laisser davantage de troupes en Irak et tenter de calmer les violences dans le pays. Nous aurions également pu intervenir en Syrie lorsqu’il existait encore une opposition raisonnable avec laquelle travailler.

Aujourd’hui, l’une des questions qui se posent est de savoir si ces violences interconfessionnelles peuvent encore être maitrisées ; et l’autre, si les Etats-Unis ont une quelconque stratégie pour limiter la conflagration.

En ce moment, la priorité du président Obama est la question des frappes imminentes contre le régime d’Assad, avec l’objectif de démontrer la crédibilité américaine lorsque le pays fixe des lignes rouges et de renforcer le principe interdisant le recours aux armes chimiques.

Mais le président a également besoin d’établir les grandes lignes d’une stratégie plus large face à ce risque d’embrasement communautaire. Trois approches sont à sa disposition. La première est la stratégie de l’endiguement: essayer de faire en sorte que chaque pays contienne ses conflits civils à l’intérieur de ses propres frontières. La deuxième est celle de la réconciliation: rechercher des occasions diplomatiques pour obtenir un rapprochement entre l’axe sunnite, mené par les Saoudiens, et l’axe chiite, dirigé par les Iraniens. Jusqu’à présent, les occasions diplomatiques pour progresser dans cette voie ont cependant été rares.

Reste enfin la stratégie de la neutralité: les pays de l’axe sunnite demandent continuellement aux Etats-Unis de se rallier simplement à eux. Mais l’administration a décidé que prendre parti aussi nettement n’était pas une bonne option à long terme.

Au-delà de tout cela, il serait sans doute nécessaire de mener des efforts d’éducation dans le monde pour apaiser les sentiments anti-sunnites et anti-chiites. L’Iran pourrait être davantage pénalisée, non seulement en raison de son programme nucléaire, mais également pour son influence néfaste dans la région.

Cependant, il n’est guère évident que des interventions extérieures permettent réellement d’atténuer les haines et qu’elles ne contribuent pas plutôt à les attiser. Dans un texte paru récemment sur YaleGlobal, le légendaire diplomate Ryan Crocker soutient ainsi que les interventions extérieures d’envergure ne feraient qu’empirer les choses. «La dure vérité est que cette flambée de violences que connaît la Syrie va durer pendant encore un certain temps. Mais comme face à un important feu de forêt, le mieux que nous puissions faire, c’est espérer pouvoir circonscrire l’incendie.»

L’utilisation des armes chimiques en Syrie est une chose épouvantable, mais le brasier couve dans toute la région. Or les différentes options politiques face à la situation syrienne sont toutes mauvaises ou trop tardives. Tout ce qu’il nous reste à faire maintenant c’est essayer de stabiliser le mal pour éviter au moins qu’il ne se propage.

PAR DAVID BROOKS

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