Sécurité : Air France secouée (Libération)

Deux démissions et un problème de radar relancent la polémique, un an après le crash du Rio-Paris.

Sécurité : Air France secouée (Libération)
La question de la sécurité des vols, ultrasensible depuis le crash meurtrier d’un Airbus A330 entre Rio et Paris le 1er juin 2009, n’en finit pas de créer des turbulences chez Air France. Selon plusieurs sources internes, les deux officiers de sécurité des vols (OSV) de la division A330/340 ont récemment démissionné. Ils restent commandants de bord, mais ne veulent plus assurer leur tâche d’OSV, qui consiste à analyser les incidents et faire des recommandations. Selon nos informations, ils ont estimé que certaines de leurs propositions n’avaient pas été appliquées assez vite par la direction. Air France a confirmé à Libération qu’un des deux OSV «a fait part de son souhait de donner une nouvelle orientation à sa carrière au sein de la compagnie», sans plus de précisions.

De quoi jeter une ombre sur la grande réforme de la sécurité, baptisée Trajectoire, lancée après le crash. D’autant qu’une autre affaire a éclaté lundi. Dans une «consigne syndicale» que Libération s’est procurée, L’UNPL-R’Way, deuxième syndicat de pilotes de la compagnie, a appelé ces derniers à refuser de voler sur les A320 équipés de radars météo Honeywell si les conditions atmosphériques «ne permettent pas un vol en toute sécurité». Les «dysfonctionnements» de ce radar, qui aurait du mal à détecter les orages, avaient été évoqués en juillet par les syndicats, dans le cadre de Trajectoire. Mais vu la «lenteur» de la direction à décider de changer ces équipements, l’UNPL a estimé qu’il n’était «pas responsable d’attendre benoîtement que le "mammouth" s’ébranle».

Zone nuageuse. La démarche fait grincer quelques dents. «La question est en cours d’examen. C’est un coup politique de l’UNPL à l’approche des élections de mars 2011», accuse un dirigeant syndical concurrent. Mais sur le fond, tous les représentants de pilotes sont d’accord pour dire que le problème est sérieux. L’équipage du Rio-Paris a en effet traversé une zone nuageuse dangereuse, alors que d’autres avions l’avaient contournée. On ignore s’il s’agit d’une absence de détection par le radar météo ou d’une mauvaise utilisation de celui-ci par les pilotes. En tout cas, le crash a démontré l’importance de cet équipement. La direction avait même distribué aux pilotes un DVD de formation à l’usage du radar.

Or, les défauts du modèle Honeywell, qui équipe les A320 les plus anciens d’Air France (une quinzaine d’appareils seraient concernés) sont «connus depuis longtemps et même enseignés. Cet été, plusieurs pilotes d’Air France ont rapporté avoir contourné des phénomènes orageux qui n’avaient pas été détectés par le radar», explique François Hamant, président du syndicat Alter. «Si les problèmes sont confirmés, nous espérons que la compagnie va remplacer les modèles Honeywell», ajoute-t-on au Syndicat national des pilotes de ligne (majoritaire).

Après le drame du Rio-Paris, les pilotes avaient déjà critiqué le manque d’empressement d’Air France à changer les sondes de mesure de vitesse impliquées dans l’accident. Pour François Hamant, l’affaire du radar en dit long sur «la politique industrielle de la compagnie, qui n’est pas assez réactive lorsqu’un équipement devient déficient». L’exemple de l’australienne Qantas est révélateur. En juin 2009, l’un de ses A330 traverse une zone nuageuse non détectée par le radar. Sept passagers sont blessés dans les turbulences. Qantas décide alors de remettre ses radars à niveau. La compagnie est aussi l’une des premières à avoir acheté des modèles dits «multiscan», plus efficaces. «Nous réclamons qu’Air France équipe l’ensemble de sa flotte de ces radars de nouvelle génération», indique Gérard Arnoux, président du syndicat de pilotes UFPL-CFTC.

Audit. Air France indique qu’elle «ne rencontre pas de problèmes particuliers affectant le déroulement des vols ayant pour origine les radars de l’A320», et que le constructeur n’a «émis aucune recommandation» concernant ce modèle. La sécurité est «la préoccupation primordiale d’Air France», avait martelé fin mai son directeur général, Pierre-Henri Gourgeon. Outre la réforme interne, la compagnie a lancé l’an dernier un audit externe conduit par huit experts indépendants, dont les conclusions définitives sont attendues le 8 décembre. Ils ont déjà préconisé la création d’un comité de sécurité des vols, composé de membres du conseil d’administration, dont la création a été annoncée jeudi par Air France.

Le travail s’annonce difficile. «On ne changera pas la culture d’Air France du jour au lendemain. C’est une structure complexe, avec des bastions qui se sentent attaqués lorsqu’on remet leurs pratiques en cause», diagnostique un pilote. Or, l’ambiance interne est tendue, sur fond d’élections professionnelles toutes proches et d’inquiétudes sur le projet de réforme des vols moyen-courriers pour contrer les compagnies low-cost. «On n’a pas besoin de polémiques, soupire un cadre. Pour réussir cette indispensable réforme de la sécurité, nous devons travailler tous ensemble.»

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