Sciences-Po ou les largesses d’une institution sans tête

Les magistrats de la Cour des comptes dénoncent les dérives financières et l’opacité de l’école. Son nouveau directeur doit être désigné d’ici à octobre.

Une gestion financière laxiste, parfois à la limite de la légalité, un mode de direction autocratique, peu respectueux de dialogue interne, et une succession aux règles opaques : trois mois après la mort de Richard Descoings, la transition à la tête de Sciences-Po, à Paris, met en lumière un certain nombre de dérives. Le prochain directeur, qui sera désigné d’ici à octobre, devra vite s’y atteler s’il ne veut pas que l’image de l’école soit atteinte.

Après les révélations fin 2011 du site Mediapart sur les rémunérations faramineuses des dirigeants de Sciences-Po, à commencer par Richard Descoings, le Monde a publié, samedi, les premières conclusions d’un rapport de la Cour des comptes sur la situation financière de l’école. Ce texte, qui va être adressé aux intéressés pour recueillir leurs commentaires, est particulièrement sévère. Concernant les primes de la direction – entre 10 000 et 100 000 euros par personne en 2011 – sur lesquelles Richard Descoings s’était expliqué dans Libération, la Cour des comptes critique leur attribution dans le plus grand secret. Or Sciences-Po – ou l’institut d’études politiques (IEP) de Paris – est gérée par la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). Et le conseil d’administration de la FNSP aurait dû en être informé au préalable.

Les frais sont aussi épinglés. La mission sur la réforme du lycée dont Nicolas Sarkozy avait chargé Richard Descoings en 2009 aurait ainsi coûté près d’un million d’euros et aurait été entièrement assumée par la fondation. Pour les frais de fonctionnement, l’école de la rue Saint-Guillaume serait aussi plutôt dispendieuse. Les magistrats évoquent un dîner de travail au Lutetia, grand hôtel parisien, aux frais de l’IEP, et de coûteux contrats de réception et d’entretien. Or l’école, financée à près des deux tiers par l’Etat qui paie les enseignants, devrait suivre les règles applicables aux agents de l’Etat – 15 euros un repas, 60 euros une nuit d’hôtel à Paris. Enfin, toujours selon le Monde, la gestion des enseignants n’est guère plus regardante : beaucoup ne feraient pas leurs heures de cours.

Casquette. Pour la Cour des comptes, une grande partie du problème viendrait du «double statut» de Sciences-Po qui entraînerait «une confusion des genres permanente». D’un côté, l’IEP est un établissement public. D’un autre côté, la FNSP, qui gère l’école, est une fondation de droit privé. Or, comme ses prédécesseurs, Richard Descoings avait la double casquette : directeur de Sciences-Po et administrateur de la fondation.

Cette particularité contribue à complexifier davantage la transition. Pour désigner le successeur de Richard Descoings, terrassé par une crise cardiaque à 53 ans le 3 avril à New York, deux comités ont été constitués – l’un au sein du conseil de direction de l’IEP présidé par Michel Pébereau, l’ancien président de BNP Paribas, l’autre au sein du conseil d’administration de la fondation présidé par l’économiste libéral Jean-Claude Casanova, l’homme-clé de toute la procédure. Ces deux comités de sélection auditionnent ce mois-ci les candidats. Puis ils devront s’entendre sur un nom qu’ils soumettront au vote des instances dirigeantes. L’Etat aura le dernier mot, puisqu’il nomme par décret le directeur de Sciences-Po.

Finalistes. Sur la vingtaine de candidats qui ont déposé un dossier et dont la liste n’a jamais été publiée, quatre ont été retenus selon toute vraisemblance. La communication de Sciences-Po sur le sujet est en effet réduite au minimum. Elle s’est, pour l’essentiel, résumée à un communiqué le 22 mai, exposant la procédure, l’échéancier et les critères de sélection – «avoir une expérience suffisante de Sciences-Po, connaître le monde universitaire français et international, pratiquer l’anglais, disposer de qualités administratives et financières»…

Les quatre finalistes qui resteraient en lice sont : Hervé Crès, l’ancien bras droit de Descoings, nommé administrateur provisoire après son décès ; Dominique Reynié, professeur à Sciences-Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (un think tank proche de la droite) ; Jean-Michel Blanquer, le directeur général de l’enseignement scolaire au ministère de l’Education, nommé par la droite ; et enfin Gilles Andréani, un ancien diplomate, magistrat à la Cour des comptes.

Une intersyndicale, rassemblant l’Unsa Education, la CFDT et la CFTC, a protesté contre le manque de démocratie interne et l’absence des salariés dans le processus. Les étudiants de l’Unef ont regretté qu’un seul candidat soit soumis au vote final. Les enseignants et les chercheurs sont restés nettement plus discrets. Pourtant, avec l’élection du successeur de Descoings, c’est bien un nouveau mode de gestion qui se joue, plus démocratique et conforme à l’esprit d’une institution qui entend former les élites de demain.

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