Sarkozy grillé par ses fusibles

Personne ne croit à la fable d’un Elysée anticipant la démission de Blanc et Joyandet.

Panique au château. Les communicants de l’Elysée se donnaient un mal fou, hier, pour tenter de convaincre leurs interlocuteurs que la démission des secrétaires d’Etat Alain Joyandet et Christian Blanc avait été non seulement «acceptée» mais aussi demandée par le chef de l’Etat. Ce très gros mensonge n’a trompé personne. En vérité, Nicolas Sarkozy a été complètement dépassé par les conséquences de ses rodomontades devant les députés UMP. Le monarque leur avait fièrement annoncé, lors d’une réception le mercredi 30 juin à l’Elysée, le limogeage en octobre des ministres qui lui ont «déplu». Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que, dans un sursaut d’orgueil, les condamnés n’ont pas eu la patience d’attendre quatre mois la tête sur le billot.

calendrier. «Décidément, Sarko est un DRH catastrophique. Toutes ses initiatives finissent par foirer. Joyandet lui claque dans les mains. Il veut Bompard à France Télévisions, il est obligé de nommer Pflimlin, il promet le château de Versailles à Darcos, il est obligé de confirmer Aillagon», se désole un député. «Il a un vrai problème dans la gestion du temps et des hommes», ajoute plus sobrement un sénateur. Tout se passe comme si Sarkozy grillait ses propres plans à cause de son empressement à en faire lui-même la publicité. Le porte-parole du PS, Benoît Hamon, a parlé hier d’une «crise de la gouvernance de la France» qui trouve son origine dans «la concentration des pouvoirs dans les mains de l’Elysée». Dominique de Villepin ne dit pas autre chose. Et de nombreux responsables de la majorité le suivent sur ce point. Sarkozy, suggère l’un d’eux, serait bien inspiré de méditer la célèbre formule du cardinal de Retz : «On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.» François Mitterrand en avait fait sa devise.

Les démissions de Joyandet et Blanc bouleversent le calendrier en trois étapes imprudemment présenté aux députés. Première étape : soutien sans faille à Woerth, «Eric est l’honnêteté faite homme», s’est exclamé le Président. Deuxième étape : mener à bien la réforme des retraites, le grand chantier du quinquennat. Et ce n’est qu’après, en octobre, que pouvaient être engagés la grande lessive gouvernementale et le départ de tous ceux qui ont déplu.

«Sur ce genre de choses, il ne faut pas réagir à chaud», avait même précisé Nicolas Sarkozy. Il fallait au moins un Frédéric Lefebvre – le porte-parole de l’UMP, toujours parfait dans le rôle du bourrin entêté – pour prétendre sans rire devant la presse que le Président n’avait jamais prononcé ces mots, que confirment pourtant tous les invités présents. Non, explique en substance Lefebvre, les journalistes et avec eux les 200 députés UMP réunis ce 30 juin à l’Elysée, se sont tous trompés dans leurs «interprétations» des propos présidentiels. L’inébranlable porte-parole certifie que le chef de l’Etat reste maître du jeu. C’est lui, et personne d’autre, qui a voulu ces démissions. Sa version est timidement confirmée par le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel : les départs ont été décidés par le Président et son Premier ministre «après mûre réflexion». Hors micro, pourtant, aucun responsable de la majorité ne se donne le ridicule de cautionner la fable de Frédéric Lefebvre.

La véritable histoire, personne ne l’ignore, c’est qu’Alain Joyandet, sarkozyste historique, n’a pas supporté le traitement humiliant qui lui a été réservé. Jeudi, alors qu’il venait de se poser de Bruxelles après quelques jours en République démocratique du Congo – il représentait la France aux cérémonies du 50e anniversaire du pays – Alain Joyandet, ébranlé par les propos qui lui étaient rapportés, veut savoir s’il avait toujours la confiance du chef de l’Etat. Mais l’Elysée ne répond pas. Et ne donne pas suite, non plus, à ses demandes de rendez-vous. Le lendemain, Joyandet participe, aux côtés de Sarkozy, à une réunion de préparation du défilé du 14 Juillet. Pour commémorer le cinquantenaire des indépendances africaines, des détachements du continent noir sont attendus sur les Champs-Elysées. «Monsieur le Président, je souhaiterais vous voir», ose Joyandet à la fin de cette réunion. Il devra se contenter de Guéant, à qui il annonce sa démission.

Oxygène. La crise durera tout le week-end. L’Elysée freine des quatre fers, Matignon pousse à un gros ménage. L’Elysée finit par céder. Mais il faut encore obtenir le départ de Christian Blanc. Ce dont se charge Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée. Blanc voulait rester en poste pour se «blanchir» dans l’affaire des cigares en démontrant la culpabilité de son ex-chef de cabinet contre lequel il a diligenté une enquête administrative. Mais Joyandet s’entête : n’en déplaise à Nicolas Sarkozy, il fait savoir que cette démission est sa décision. Quand il apprend que le maire de Vesoul a posté sur son blog un billet annonçant qu’il quitte le gouvernement, le chef de l’Etat, furieux, décroche son téléphone. L’échange est orageux. Trop tard.

Pour reprendre la main, l’Elysée tente de donner un peu de cohérence aux départs du week-end. Symboliquement, ces affaires de cigares et de jet privé – deux objets du luxe le plus ostentatoire – étaient les plus dévastatrices dans l’opinion. En faisant mine d’avoir sanctionné les coupables, l’exécutif peut espérer se donner un peu d’oxygène. Mais les dirigeants de la majorité n’y croient pas vraiment. Ils craignent, au contraire, que les fusibles étant grillés, la pression s’exerce plus fortement et plus directement encore contre Eric Woerth.

Le secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, a accusé hier le PS d’entraver le débat sur les retraites en «entretenant le populisme dans notre pays». «Nous en avons plus qu’assez de ce procès politique qui est instrumentalisé sur la personne d’Eric Woerth» , a-t-il ajouté.

Hier, dans les ministères, les circulaires du Premier ministre imposant des cures d’austérité, en matière de déplacement et de frais de bouche notamment, sont arrivées. Pendant ce temps, Christian Blanc prépare sa contre-attaque. Il promet de «prouver» qu’il a été victime d’un guet-apens. Dans des propos rapportés par Lexpress.fr, il se désole que les cigares soient devenus «synonymes de puissance et d’arrogance». Et se demande même, l’hypothèse est osée, si on l’aurait pas laissé plus tranquille s’il avait abusé «du sexe ou de la cocaïne». Parole d’ex-ministre au temps du sarkozysme…

(Source libération)

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