Ramadan: « Les Frères musulmans ne vont pas venir au pouvoir » (JDD)

Tariq Ramadan revient pour leJDD.fr sur la situation en Egypte et le rôle des Frères musulmans égyptiens. Petit-fils du fondateur de la confrérie (*), ce professeur qui enseigne les études islamiques contemporaines à Oxford estime qu’il faut inclure cette organisation dans le débat politique.

Ramadan:
Vendredi, le leader des Frères musulmans, Mohamed Badie, s’est dit prêt au dialogue avec le pouvoir égyptien. Est-ce que cela signifie que les Frères musulmans tentent de prendre la tête de la contestation?

Il faut replacer les choses dans leur contexte: le mouvement n’est absolument pas un mouvement des Frères musulmans. C’est une grande poussée populaire, à l’image de ce qui s’est passé en Tunisie, qui les a dépassés dès le départ. Il y a plusieurs options pour le passage de témoin de l’après Moubarak. Il semble que l’on est en train de s’orienter vers l’idée qu’il faudrait garder des membres du système en place, avec des figures de l’opposition. C’est à ce moment-là qu’on entend la voix des Frères musulmans, qui essayent de participer à cette alternative.

L’un de leurs dogmes est la fusion du religieux et du politique, l’application de la charia… Comment les Frères musulmans pourraient-ils s’entendre avec les autres tendances de l’opposition?

La stratégie d’opposition des Frères musulmans a changé. Sur un certain nombre de thématiques, ils sont plus souples qu’ils ne l’ont été par le passé: sur la question de la référence à la charia, la question du rapport à l’intervention des minorités, des femmes… On aurait tort de penser que la confrérie n’est pas traversée par des tensions. C’est un mouvement non-violent, mais il y a de grandes divergences quant au positionnement religieux et théologico-politique. Vous avez des gens qui sont proches des salafis saoudiens et vous avez des plus jeunes, plus dynamiques et plus engagés, très proches de l’AKP turc.

"Ils sont toujours marginaux, pas entendus"

Vous dites que certains sont proches de l’AKP. Concrètement, qu’est-ce que ça veut dire?
Tout le monde est d’accord pour l’acceptation de l’Etat de droit, de la démocratie. Maintenant, dans le projet politique, l’idée des plus jeunes est de dire: “On travaille avec les structures existantes et on établit des liens avec toutes les forces d’opposition pour mener à bien un travail strictement politique.” Cette idée qu’il y aurait une obsession de l’application de la charia est tout à fait secondaire. Il y a une autre idée qui serait de laisser le mouvement des Frères musulmans dans le travail de formation et d’éducation et de créer un parti qui s’inscrit dans l’univers séculier.

Selon vous, il y a des tendances modernistes. Qu’est-ce qui pourrait les empêcher de prévaloir?

Il y a plusieurs raisons. Quand vous êtes dans l’opposition, sous la torture et la répression, vous avez des marges d’évolution qui sont surtout liées à la défensive politique. Ca conduit à une espèce d’enfermement de la pensée. C’est ce qui est arrivé pour une partie des Frères musulmans. De l’autre côté, il y a l’expérience historique. Trois choses conduisent à une évolution: la première, c’est la stérilité de l’opposition telle qu’elle a été menée depuis 50 ans. Les Frères musulmans sont toujours marginaux, pas entendus, à 20 ou 30% de la population. Il y a des sympathies pour les idées mais il y a un rejet de la tendance en tant que tel, parce qu’elle fait peur. Deuxième chose, c’est l’expérience d’autres sociétés: la Turquie, mais aussi le contre-exemple problématique de l’Iran. Troisième élément: les gens évoluent dans leur pensée parce que leur compréhension de ce qu’a été l’exemple de l’Etat islamique sous la colonisation n’est plus la même à l’ère de la globalisation.

L’éventuelle arrivée au pouvoir des Frères musulmans suscite des craintes en Israël…

D’abord, je ne pense pas que les Frères musulmans vont venir au pouvoir. Je pense que ce sera un courant parmi d’autres dans l’opposition. Il y a énormément de forces qui ne le veulent pas au pouvoir, même s’ils doivent participer au concert du débat politique. Ma position est qu’il faut que nous nous en tenions à nos principes de démocratie, d’Etat de droit et d’élections. Il ne faut absolument pas cautionner la logique binaire qui consiste à dire: "Dans le risque de radicalisation, acceptons la dictature." Appeler l’Occident à soutenir les dictatures (**), de la part du pays qui se prévaut d’être la seule démocratie régionale, c’est non seulement paradoxal, mais c’est contre-productif. A terme, la sécurité du Moyen-Orient comme d’Israël, ce sera la démocratisation du monde arabe.

(*) Tariq Ramdan a tenu à préciser: "Je ne suis pas simplement le petit fils du fondateur des Frères musulmans. Je ne suis pas des Frères, je ne les représente pas. Ma pensée ne s’est jamais faite par mon sang."

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite