Rached Ghannouchi entre prédation et pragmatisme politique

La Tunisie sera cette semaine au centre d’une attention particulière. La raison des élections législatives s’y tiennent le dimanche 26 octobre en prélude à la grande course présidentielle. Des élections qui clôturent un long processus avec de nombreuses étapes sur le fil du rasoir. La chute de Ben Ali, l’élection de l’Assemblée constituante, le recul d’Ennahda, le vote d’une constitution et la nomination d’un gouvernement de technocrates chargé de gérer la période transitoire.

Par Mustapha Tossa

Il y a deux enjeux majeurs dans ce scrutin. Un enjeu régional. Il est intéressant de suivre l’évolution démocratique à la tunisienne de ces quatre dernières années dans le monde arabe. Faut-il faire semblant d’oublier que l’onde de choc parti de Tunisie avait provoqué un effet domino dont trois ex-chefs d’Etat ont été les victimes directes, l’Egyptien Hosni Moubarak, le libyen Mouammar Khaddafi et le yéménite Ali Abdallah Saleh. Sans parler de cette inévitable reconstruction de la carte géopolitique du monde arabe où le régime ancien résiste douloureusement à l’ordre naissant avec ce que cela implique comme ajustements et remises en cause.

Le second enjeu est tunisien. Faire le point sur la construction de l’édifice politique tunisien à l’ombre des aspirations naturellement prédatrices de la mouvance islamiste. La Tunisie fut le premier laboratoire d’une expérience où sans être réellement préparée à gouverner, la mouvance islamiste avait pris le pouvoir par les urnes. Sous la pression conjuguée de la rue sortie défendre ce qu’elle avait considéré à tort ou à raison comme des acquis de l’ancien système et de l’environnement régional qui voyait dans les pratiques d’Ennahda un encouragement implicite aux postures extrémistes, la mouvance islamiste tunisienne a dû lâcher du lest, renoncer volontairement au pouvoir, mal acquis selon ses détracteurs.

Au cœur de ce jeu politique se trouve un homme et un parti. Rached Ghannouchi et son instrument de conquête le parti Ennahda. La jeune expérience démocratique tunisienne avait trébuché à cause de cette gourmandise islamiste à vouloir tout régenter, tout contrôler. Aujourd’hui, sous l’influence de l’épouvantail égyptien et après avoir cédé le pouvoir à des technocrates, Ennahda se prépare à cette bataille législative, en se livrant à une astreinte volontaire de ses ambitions.

Est-ce une illusion d’optique ou une réalité politique, Ennahda donne cette étrange impression de ne pas vouloir rafler la mise même si elle en possède les moyens. Le parti islamiste tunisien avait tenté de rassurer en se démarquant ouvertement de certains cousinages embarrassants comme celui des frères musulmans actuellement en disgrâce dans le monde arabe ou celui des salafistes qui fricotent sournoisement avec le djihadisme mondial.

Deux raisons peuvent expliquer cette retenue. La première est la conviction nouvellement acquise par l’élite d’Ennahda que la Tunisie, aussi bien dans sa richesse humaine que sa pauvreté matérielle, ne peut être gouvernée par le glaive d’une mentalité wahhabite. La société tunisienne est suffisamment riche de césures culturelles pour pouvoir encore une fois céder au culte de l’homme providentiel et du parti unique, organisateur des pensées et des envies. La constitution votée avait pour objectif de fixer le cadre de cette photo. La seconde raison est que la Tunisie d’aujourd’hui, ne serait que dans sa phase convalescente, dépend de manière vitale de l’aide et de l’investissement en provenance de l’étranger pour pouvoir se permettre le luxe d’adopter des comportements-épouvantail.

La personnalité de Ghanouchi y est pour beaucoup dans ce tournant. Malgré ses tentations de prédateur politique, l’homme a tenté de freiner ses pulsions. Une histoire de survie politique pour les uns, de machiavélisme pour les autres. Le discours est moins arrogeant, le casting plus lisse. L’ambition d’Ennahda n’est pas de redevenir ce parti dominant qui a été en charge de la totalité des outils de l’Etat tunisien Post-Ben Ali et qui a échoué mais de faire en sorte de devenir incontournable, dans un rôle de faiseur de roi souterrain. Ennahda ne monopolisera pas le pouvoir mais rien en réalité rien ne se fera sans sa bénédiction.

Les élections présidentielles qui suivront ses législatives en sont la parfaire illustration. Pas de candidat d’Ennahda, mais qu’il s’agisse de Mouncef Marzouki, à la recherche d’un nouveau mandat ou de Beji Caïd Essebsi, à la recherche d’une nouvelle jeunesse politique, Ennahda aura son mot à dire.

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