Quelle mouche a piqué le ministre algérien Messahel ?

Par Mohammed Mraizika*

Les relations du Maroc avec son voisin de l’Est, l’Algérie, sont exacerbées et exécrables. Il en résulte des dommages directs et collatéraux avec des effets néfastes sur la quiétude, la sécurité et l’essor de toute une région. Loin d’apaiser la tension entre les deux pays, la déclaration provocatrice du ministre des Affaires Etrangères de l’Algérie, Abdelkader Messahel, y ajoute une surdose de malaise.

Quelle mouche a donc piqué le ministre Messahel ? Qu’y a-t-il de si prompt et de nouveau aujourd’hui pour qu’il sorte de sa réserve et fasse fi de tous les us et coutumes diplomatiques que lui impose la fonction et surtout qu’exigent l’histoire, la fraternité et le devoir de voisinage, pour s’attaquer au Maroc avec une telle rage ?

Les raisons qui expliquent l’état actuel des relations algéro-marocaines, qui sont assez tendues et qui semblent manquer de perspectives favorables, sont de différents ordres. Il est exact que la question du Sahara constitue la pierre d’achoppement et le motif connu et officiel de la dégradation des relations entre les deux pays au moins depuis 1975. Cette date est un tournant dans cette relation déjà mise à mal par le conflit fratricide d’octobre 1963, plus connu sous le nom de « guerre des sables ». Si, en effet, 1975 constitue une étape clef de l’histoire du Maroc indépendant en marquant le retour à son giron de ses provinces du Sud et ses territoires sahariens, cette même date représente pour l’Algérie une sorte de « nakba » (catastrophe) politico-stratégique. C’est un coup porté à sa volonté d’hégémonie politique qui passait par la maitrise d’un leadership sur la région du Maghreb et au-delà sur le Continent africain et au sein du mouvement des pays non alignés. Les bouleversements géopolitiques qui ont affecté le monde au cours de cette période, la fin de la guerre froide, la chute du mur de Berlin (novembre 1989) et l’effritement des grands blocs idéologiques (Est-Ouest), ont réduit ce rêve algérien à néant. Une politique économique et sociale désastreuse allait achever définitivement cette prétention hégémonique.

Pour couvrir ce double échec, interne et international, Alger s’est obstiné à chercher un ennemi extérieur, un « bouc émissaire », utilisé à outrance en guise d’écran de fumée, pour camoufler sa mauvaise gestion de la chose publique nationale, au lieu de chercher des solutions sérieuses pour la corriger et l’améliorer. Omnibuléé par les progrès économiques et les avancées sociales et diplomatiques accomplies par le Maroc au court de ces trois décennies, Alger s’est enfermée dans une stratégie de dénigrement systématique des réformes et avancées marocaines travaillant en sous-main ou par procuration (cas du Polisario) pour l’isoler diplomatiquement et l’étrangler économiquement. Toutes les manœuvres et les initiatives prises par Alger au sein des instances internationales et régionales ont pour raison et pour finalité première de « prendre une revanche » sur le Maroc. 1963 comme 1975, lui sont, en effet, restées coincées dans la gorge.

Cette option stratégique résolument anti-Maroc qu’Alger a privilégiée lui coûte énormément en termes de moyens budgétaires, d’échecs diplomatiques et de stabilité économique et sociale interne. Les milliards de dollars (60,3 en 2014, mais ce chiffre a fortement décliné en 2015 : autour de 35,72 milliards) que l’Algérie amasse grâce à la vente du gaz et du pétrole ont pris, et prennent toujours, des chemins inavoués qui mènent vers tout (enrichissement des généraux et élites du FLN, Polisario et ONG sans scrupules) sauf en direction des couches sociales populaires nationales.

Le soutien inconditionnel, financier, diplomatique et militaire, que l’Algérie apporte aux adversaires de l’unité territoriale du Maroc, n’est qu’un aspect de cette politique d’hostilité et d’entrave à tout ce que le Maroc entreprend ou initie. Les modèles cultuel et sécuritaire marocains, loués partout, sont décriés, la politique économique, culturelle et humaine que le Maroc déploie vers le Continent africain est lue par Alger comme une menace géopolitique et une « concurrence » diplomatique et économique inacceptable. A force, cette hostilité systématique s’est transformée en un « problème » au sens psychologique du mot : une hantise, une maladie

Pour sa part, le Maroc fort de ses droits historiques sur sa terre et son Sahara, convaincu de la pertinence de ses choix stratégiques et conscient de son devoir à l’égard de ses pairs africains, poursuit avec résolution une trajectoire rectiligne relevant les défis du développement, contournant les obstacles et évitant avec pragmatisme les provocations et les anathèmes de son voisin de l’Est.

Alors qu’Alger adopte une politique de répression et d’expulsion contre les subsahariens et les réfugiés syriens, le Maroc accueille, régularise et intègre des milliers d’entre eux, mettant en place à leur profit « les conditions appropriées pour s’établir, travailler et vivre dignement au sein de la société » marocaine, selon les propres mots du Souverain marocain (discours royal du 20 août 2016). Alors qu’Alger alimente, par son soutien aux séparatistes et mercenaires de tous bords, l’instabilité et l’insécurité de la région maghrébine et de la zone subsaharienne, le Maroc combat le séparatisme, le terrorisme (notamment au Mali) et toutes les exactions (trafic d’armes, filières d’immigration clandestine et détournement de l’aide humanitaire) qui affectent ces mêmes régions stratégiques et vitales pour tous.

Alors que le Maroc réclame l’ouverture de la frontière algéro-marocaine, afin de fluidifier les échanges économiques et favoriser la circulation des biens et des personnes, Alger s’obstine à faire la sourde oreille invoquant des motifs subalternes ou fallacieux qui ne correspondent à aucune réalité économique et sociale locale.

Alors que le Maroc est resté solidaire du peuple algérien dans les moments les plus difficiles de son histoire (guerre d’indépendance), l’Algérie a expulsé des milliers de familles marocaines en 1975 en guise de réaction à la Marche Verte.

Sur le plan international Alger s’est évertuée à faire des instances onusiennes, européennes et africaines le théâtre d’un jeu compliqué qui consiste à duper ses pairs à l’aide de manœuvres dilatoires et diffamatoires visant à faire échouer les initiatives et les avantages économiques et diplomatiques marocains (Cas de l’UE). Les épisodes du retour du Maroc au sein de l’Union Africaine et son adhésion à la CEDEAO n’ont fait que confirmer cette stratégie délibérée et montrer jusqu’où Alger était capable d’aller pour nuire au Maroc.

Ainsi, lorsque le ministre algérien Abdelkader Messahel se croit autorisé de se lancer, devant des entrepreneurs algériens réunis à l’occasion d’un forum, dans une diatribe amère proférant des « propos affabulatoires, d’un niveau d’irresponsabilité sans précédent dans l’histoire des relations bilatérales » (Selon un communiqué), il n’a pas dévié de la ligne directrice générale tracée depuis belle lurette par le pouvoir officiel algérien. Le ministre Messahel n’est certes pas un novice en politique ou en matière de diplomatie. Sa déclaration se voulait en fait une incitation, ou plutôt une injonction, faite aux entrepreneurs algériens pour imiter leurs homologues marocains : « Faire du business aujourd’hui, en Afrique du Nord, il n’y a que l’Algérie », conseille M. Messahel avec rage. La question est : quel type de business propose-t-il à ces entrepreneurs de faire en Afrique ? « Blanchir » les sommes considérables en pétrodollars détournées de leurs objets initiaux aux détriment du peuple algérien ?

Le Maroc a réagi à cette énième provocation algérienne en faisant appel aux moyens qu’impose le bon sens, que dicte la fraternité entre les deux peuples, en utilisant les principes diplomatiques les plus reconnus par les nations civilisées (rappel de l’ambassadeur marocain en Algérie et convocation du chargé d’affaires de l’ambassade d’Algérie au Maroc). C’est un bon choix et c’est comme cela que le Maroc pourra rester fidèle à sa philosophie politique et à ses choix stratégiques en termes de diplomatie africaine et de développement économique et humain.

*Docteur en Histoire (EHESS-Paris)

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