Quand Khalifa déboursait 3,2 millions pour le compte du président Bouteflika aux Etats-Unis (DNA)

Quand Khalifa déboursait 3,2 millions pour le compte du président Bouteflika aux Etats-Unis (DNA)
Un escroc certes, mais un escroc que les autorités n’ont pas hésité à solliciter officiellement pour financer des opérations de lobbying pour le compte de l’Etat algérien. Alors que la bataille judiciaire pour l’extradition de l’ancien milliardaire algérien, Rafik Khalifa, connait un nouveau rebondissement, DNA a enquêté sur les relations qui liaient le Groupe Khalifa avec le gouvernement algérien à l’époque où Khalifa était encore le fleuron de l’économie algérienne. Dans ces relations « incestueuses » qui liaient Khalifa et les officiels algériens, il y a un gros contrat. Lire également : Rafik Khalifa, numéro d’écrou TP719, fait appel. Son extradition vers Alger est loin d’être gagnée.

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3,2 millions de dollars. C’est la somme que le groupe Khalifa avait déboursé dans le courant de l’année 2002 afin de financer des opérations de lobbying aux Etats-Unis pour le compte de la présidence algérienne. Si les faits ne sont pas inédits, ils ont été partiellement divulgués en octobre 2003 par deux quotidiens algériens (L’Expression et Le Matin), en revanche, DNA a pu obtenir de nouveaux documents qui attestent que khalifa a versé 3,2 millions au cabinet de lobbying et de consulting américain GoodWorks International, LLC.

Deux virements de 3,2 millions de dollars

La signature du contrat s’est déroulée à Washington le 19 juillet 2002 en présence de l’ancien ambassadeur d’Algérie aux Etats-Unis, Driss Djazaïri. Intitulé « Representation Agreement », le document a été signé par Rafik Abdelmoumen Khalifa au nom de la « République algérienne démocratique et populaire », et par Carlton Masters, représentant les intérêts du cabinet GoodWorkss International, LLC. Basé à Atlanta, GoodWorks a été créé en 1996 par Andrew Young, ancien maire d’Atlanta et ex-ambassadeur américain aux Nations–Unies, ainsi que par Carlton A. Masters et Hamilton Jordan.

Les faits remontent à l’année 2002, à l’époque où Khalifa, patron du groupe éponyme, était au faîte de sa gloire. Propriétaire d’une pharmacie à Alger que lui avait léguée son père, Laroussi Khalifa, ancien ministre dans le gouvernement d’Ahmed BenBella, Rafik Khalifa est devenu au début des années 2000 le plus important entrepreneur privé en Algérie. Banque, transport aérien, BTP, communication, le groupe Khalifa est un mastodonte qui brasse des milliards et emploie quelques 15 000 personnes. Incontournable dans le monde des affaires et des médias en Algérie, le jeune homme s’est imposé comme un personnage hautement fréquentable. Ministres, militaires, chefs d’entreprises, journalistes, patrons de journaux, présidents de clubs, députés, chanteurs, tout ce que le pays comptait comme élite accourait vers lui. En plus d’avoir embauché fils et filles de ministres, d’ambassadeurs, de hauts gradés de l’armée ; en plus d’avoir fait bénéficier hommes et femmes issus du sérail de ses largesses (prêts bancaires, cartes de crédit, logements et villas, billets d’avion gratuits sur les lignes de Khalifa Airways, la compagnie du groupe), Rafik Khalifa ne rechignait pas à mettre la main à la poche pour financer des projets économiques ainsi que des activités relevant de la sphère diplomatiques pour le compte des autorités algériennes. L’argent de Khalifa coulait à flot et il en faisait profiter presque tout le monde. Y compris la présidence de la République.

Rafik khalifa : « C’est Bouteflika en personne qui m’a sollicité »

C’est ainsi que dans le courant de l’année 2002, Rafik khalifa est sollicité par la présidence de la République pour monter une opération de lobbying aux Etats-Unis. Objectif : faire en sorte que le président Bouteflika et les représentants de l’Etat puissent disposer d’entrées directes dans les milieux de la politique et des affaires aux States. Qui a demandé à Rafik Khalifa d’entreprendre une telle entreprise ? Le président Bouteflika en personne, soutient Khalifa.

Au cours d’une entrevue de l’auteur avec Rafik Khalifa à Londres en novembre 2003, l’ex-milliardaire, réfugié à Londres en mars 2003, a confirmé la sollicitation du chef de l’Etat algérien. « C’est Bouteflika en personne qui m’a demandé en 2002 de l’aider à monter des opérations de lobbying aux Etats-Unis », a affirmé Khalifa à l’auteur. Il a également ajouté, au cours de la même entrevue qui s’est déroulée à son domicile dans un quartier huppé de Londres, avoir entrepris d’autres opérations de lobbying, ailleurs qu’aux Etats-Unis. Pressé d’en dire davantage, Khalifa s’est gardé de donner des précisions sur leur nature, encore moins sur les montants engagés dans le cadre de ces missions.

3,2 millions de dollars, le jackpot pour GoodWorks

Une fois l’accord scellé entre Rafik Khalifa et les services de la présidence, un cabinet américain est donc contacté afin de mettre en branle cette opération. Rafik Khalifa ayant peu, ou plutôt franchement aucune expérience du monde de lobbying aux Etats-Unis, on imagine bien que ce sont d’autres parties qui se sont chargées de prospecter le marché américain. Qui ? L’ambassade algérienne à Washington ? Le réseau de l’ex-ministre de l’Energie, Chakib Khelil, un homme plutôt bien introduit au sein du milieu pétrolier américain ? On ne saura le dire. Toujours est-il que c’est le cabinet GoodWorks International, LLC qui a obtenu le marché. Pourquoi lui ? GoodWorks a cette particularité d’avoir comme clients de nombreux Etats et gouvernements d’Afrique et des Caraïbes. L’autre particularité de ce cabinet est qu’il est très lié avec l’ancien Secrétaire d’Etat américain, Collin Powell. Une autre particularité, et non des moindres, c’est qu’il possède dans son portefeuille des compagnies comme Chevron, Coca-Cola et Halliburton, la multinationale dont l’ex-Vice président américain, Dick Cheney, était un des actionnaires. Bref, GoodWorks offre le profil idéal pour permettre aux officiels algériens d’avoir l’oreille de l’Establishment américain.

Tous les détails des opérations existent auprès du liquidateur de Khalifa, Moncef Badsi

L’affaire est conclue en l’espace de quelques mois. Si bien que le 19 juillet 2002, GoodWorks International et Rafik Khalifa signent un contrat d’agrément. Selon des documents que DNA (Voir documents) a pu obtenir, le groupe Khalifa a effectué deux virements par Swift pour GoodWorks International, LLC. Le premier est de l’ordre de 3 millions de dollars, effectué au nom de l’ordonnateur Kebache Ghazi, oncle de Rafik Khalifa et numéro deux du groupe Khalifa (aujourd’hui réfugié en France et condamné à 20 ans de réclusion par le tribunal de Blida en 2007 dans le cadre du procès Khalifa). Le second est de 200 000 dollars, effectué au nom de l’ordonnateur Khalifa Aiways. Les détails de ces versements existent au niveau du service de la liquidation du groupe Khalifa, service dirigé par le liquidateur Moncef Badsi.

Les documents qui font preuve

Dans deux documents rendus public par le département de la Justice américain (http://www.justice.gov/criminal/fara/reports/December31-2002.pdf) en décembre 2002, on peut constater que GoodWorks a déclaré avoir contracté une relation de travail avec le groupe Khalifa pour au moins deux prestations de service. Pour la première, le montant est de 137, 056, 46 dollars, pour la seconde la somme n’est pas spécifiée (Voir documents). Rafik Khalifa, condamné à la réclusion à perpétuité par le tribunal de Blida en mars 2007, a toujours soutenu que la chute de son groupe en 2003 a été sciemment provoquée par les autorités algériennes. Bien qu’il n’ait jamais avancé des preuves formelles, Rafik Khalifa avait à maintes reprises accusé directement le président algérien d’être à l’origine de la faillite du groupe qu’il dirigeait entre 1998 et 2003. Réfugié à Londres le 03 mars 2003, Rafik Khalifa fait aujourd’hui l’objet d’une bataille judiciaire autour de son éventuelle extradition en Algérie.

Quand Khalifa déboursait 3,2 millions pour le compte du président Bouteflika aux Etats-Unis (DNA)
Verbatim : Les termes du contrat qui liait le Groupe Khalifa à GoodWoorks International, LLC

Au terme de ce faramineux contrat signé en juillet 2002 par Rafik Khalifa au nom de l’Etat algérien, GoodWorks s’est engagé notamment « à servir fidèlement le gouvernement algérien en consacrant le temps et les efforts nécessaires pour la représentation de l’Algérie aux Etats-Unis, (…) à mener toutes les activités destinées à promouvoir l’image de l’Algérie sur le plan législatif, exécutif et des affaires.» Le cabinet s’est également engagé à organiser « des rencontres entre le gouvernement Bouteflika et des personnalités-clés de l’Administration américaine au niveau exécutif et législatif, mettre en place et soutenir un processus d’évolution de comportement et de politique envers l’Algérie, à travailler avec différents groupes à Washington pour entreprendre des actions en faveur de l’Algérie, à rehausser l’image de l’Algérie aux Etats-Unis en contrôlant soigneusement les informations des médias sur l’Algérie et en neutralisant les informations négatives par leur transformation en informations positives.» La mission de GoodWorks International a consisté aussi à « rehausser l’image de l’Algérie aux plans national et international dans le but de rehausser la place de l’Algérie, associée à celle des Etats-Unis, sur la scène mondiale. (..) à assister l’ambassadeur d’Algérie et le personnel de l’ambassade en prodiguant toute l’aide nécessaire aux bonnes relations publiques et à la législation.» Cet engagement inclut « d’éventuels témoignages, des briefings, correspondances aux membres du Congrès, éditoriaux, articles d’opinion et différents articles de presse.»

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