Premières élections « libres » dimanche en Tunisie

La campagne électorale s’intensifie. Dans les rues, distribution de tracts, voitures sonorisées. Sur l’avenue Bourguiba, des stands de partis sont montés pour distribuer les professions de foi des candidats. Dans cette grande artère de Tunis, des barbelés ont aussi été installés et quelques véhicules militaires sont stationnés depuis plusieurs jours, en face du ministère de l’Intérieur. Une précaution prise pour éviter les débordements lors des manifestations. Car depuis le départ de Ben Ali, les Tunisiens parlent. Des manifestations sont organisées pour défendre la liberté d’expression.

Mais ce scrutin historique se déroulera dans un contexte tendu. Les salafistes multiplient les actes de violence et la pauvreté augmente. "Délaissé par les touristes, contraint de rapatrier ses travailleurs exilés en Libye, le pays a vu son nombre de chômeurs passer de 500.000 à 700.000 en un an", explique Mohamed Haddar, président de l’Association des économistes tunisiens. Dans les provinces du Sud notamment, grande est la désillusion à l’égard de la révolution. Une désespérance qui ne semble profiter qu’à un seul parti : Ennahda, "la Renaissance", dont le leader, Rached Ghannouchi, est rentré en Tunisie en janvier après un long exil.

Ennahda semble assuré d’arriver en tête dimanche. Mais quelle sera l’ampleur de sa victoire ? Entre 25% et jusqu’à 50%, l’éventail des pronostics est large. Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient de Beyrouth pour qui "Ennahda n’a pas l’ambition d’installer en Tunisie une république islamique", une source diplomatique française affirme : "il s’agit davantage d’un parti conservateur. Il faut arrêter de les considérer avec le couteau entre les dents. Cette formation constitue le thermomètre de la société tunisienne, pas sa maladie. Des femmes non voilées, des hommes qui boivent de l’alcool voteront Ennahda."

Ennahda inquiète ses adversaires qui lui prêtent d’autres intentions, une fois au pouvoir. Emprisonnée sous Ben Ali, Raoudha Gharbi, militante féministe et membre de la Ligue des droits de l’homme, pressent que "la bataille des femmes contre Ennahda sera rude". L’économiste Mohamed Haddar craint "un scénario à l’iranienne" et ne veut pas "faire confiance aux discours officiels". Pour Hamadi Redissi, professeur de sciences politiques, "ils sont objectivement sur le même terrain idéologique que les salafistes. Traiter avec eux, c’est ouvrir la boîte de Pandore."

Un homme d’affaires franco-tunisien, partisan de Ghannouchi, s’agace de ces craintes. Il n’y voit qu’un ramassis de préjugés véhiculés par les bourgeois de Tunis… "Vous croyez qu’on va voter pour eux puis les laisser nous ramener au Moyen Âge ? Vous croyez que ce peuple, qui a renversé Ben Ali, se laissera faire?" Un avocat, qui ne pratique pas le ramadan, ajoute : "Ennahda ne prône pas l’instauration d’un pouvoir religieux et ceux qui le disent lui font un procès d’intention. Ils n’ont qu’un modèle : la Turquie d’Erdogan."

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