Plus de 800 cheminots marocains demandent « réparation » à la SNCF

Ils achèvent leur carrière avec le sentiment de s’être "fait avoir": plus de 800 cheminots de nationalité ou d’origine marocaine demandent "réparation" à la SNCF pour discrimination durant leur carrière. Les deux parties livreront bataille aux Prud’hommes de Paris à partir de lundi.

Certains "Chibanis de la SNCF" ont assigné l’entreprise dès 2005. Renvoyés au fil des ans, leurs recours seront réexaminés du 23 au 27 mars, par un juge professionnel chargé de départager les conseillers prud’homaux qui n’ont pas réussi à se mettre d’accord.

La plupart d’entre eux ont été recrutés au Maroc au début des années 1970 par la SNCF. Embauchés comme contractuels, donc avec un contrat de droit privé, ils ne relèvent pas du statut particulier des cheminots.

Longtemps réservé aux détenteurs de la nationalité française, mais ouvert désormais aux ressortissants européens, ce statut offre une garantie d’emploi et des avantages en matière de protection sociale et de retraite. Plus de 90% des salariés du groupe public sont encore aujourd’hui affiliés à ce "cadre permanent".

Ces cheminots "ont travaillé dans des conditions difficiles, faisaient exactement les mêmes tâches que leurs collègues français au statut mais ont vu leurs carrières bloquées et ont eu des retraites moindres", plaide Me Olivier de Boissieu, l’un de leurs avocats.

Les cheminots marocains, précise sa consoeur Clélie de Lesquen-Jonas, "ne remettent pas en cause le statut", ils demandent l’application du principe "à travail égal, salaire égal".

Alors que "les deux tiers des cheminots au statut finissent agents de maîtrise", les Marocains ont été condamnés statutairement "à rester des agents d’exécution", dit-elle.

En face, la SNCF réfute toute discrimination entre salariés de même qualification, en fournissant un "panel" de comparaison de "plus de 1.000 agents". Pour l’avocat de compagnie ferroviaire, qui invoquera également la prescription des faits, il n’y a "nullement discrimination", "on compare l’incomparable (…) la SNCF, entreprise publique, a deux statuts pour ses salariés, la loi le prévoit comme ça", considère Me Jean-Luc Hirsch.

"On n’a pas été traités à égalité. Je ne peux pas m’empêcher de ressentir un sentiment d’humiliation", répond Ben Dali, 63 ans, l’un des porte-parole de l’association des cheminots marocains.

"Frustrant"

Avec émotion, il évoque "la souffrance des veuves marocaines quand elles ont dû s’inscrire au RMI" alors que les épouses des cheminots français "reçoivent immédiatement une pension" et "leurs enfants deviennent pupilles de la nation". Six plaignants décédés sont représentés par leurs ayant-droits.

"J’ai formé des collègues qui, eux, ont évolué et sont devenus mes chefs, c’est très frustrant", témoigne un autre Marocain, toujours en activité, refoulé à plusieurs examens.

Comme ce cheminot de la gare de Lyon, la moitié des 832 plaignants ont acquis un jour la nationalité française. Mais "c’était trop tard, j’étais trop vieux pour avoir le statut", réservé aux embauchés avant 30 ans.

Malgré tout, 113 plaignants ont obtenu le statut. Ce fut "à géométrie variable", explique leur avocate. Mais "eux aussi ont un préjudice car leur ancienneté n’a pas été reconnue", selon Me de Lesquen-Jonas.

D’autres, restés contractuels, ont pris le ticket de départ à 55 ans offert par la SNCF dans les années 2000 avec la garantie d’une indemnité chômage jusqu’à leur retraite. "On s’est fait avoir là encore. On a compris notre douleur quand on nous a calculé notre retraite", diminuée par les trimestres manquants, dit M. Dali.

La pension de base d’un contractuel ayant cotisé 40 ans "n’atteint pas le minimum garanti aux cheminots au cadre permanent après 15 ans de service", environ 1.100 euros par mois, affirment les plaignants.

Ces salariés et retraités venus du Maroc réclament en moyenne 400.000 euros de dommages et intérêts, dont la moitié au titre du préjudice de retraite.

La SNCF conteste ces calculs. Les cheminots marocains optant pour le départ à 55 ans "auraient eu une retraite moins élevée s’ils avaient été au cadre permanent", affirme à l’AFP la compagnie, en évoquant des simulations commandées à un cabinet.

Le jugement devrait être mis en délibéré.

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