Paris, mardi 7 avril 1987, 22 h 35 : l’avocat et opposant algérien Ali Mecili est tué de trois balles dans la tête .

Paris, mardi 7 avril 1987, 22 h 35. Ali André Mecili, avocat et opposant franco-algérien, entre dans le hall de son immeuble, boulevard Saint Michel. Une silhouette, parapluie à la main, se faufile, entre dans le hall. L’homme arrive derrière Mecili, lui tire trois balles dans la tête avec un pistolet muni d’un silencieux. L’assassin quitte l’immeuble tranquillement. A bord d’un taxi, il regagne son domicile. A 23 h 10, Ali Mecili succombe à ses blessures

Paris, mardi 7 avril 1987, 22 h 35 : l
Vingt quatre ans après la mort de cet avocat, opposant, proche de Hocine Ait Ahmed, président du FFS ( Front des forces socialistes ), le crime reste impuni. Si le nom de son assassin présumé est connu, si les circonstances, les commanditaires de ce crime sont établis au détail prés, l’affaire demeure en suspens 24 ans après les faits.

Qui a tué Ali Mecili ? Comment le meurtrier a-t-il agit ? Pour le compte de qui ? Pourquoi ce crime est-il qualifié d’affaires d’Etat ?

L’histoire commence à Alger, à la fin de l’année 1986. Larbi Belkheir, chef de cabinet de la présidence sous Chadli Bendjedid, tient une réunion avec Lakhal Ayat, patron de la direction centrale de la sécurité militaire (DCSM).

Ordre du jour : comment neutraliser Ali Mecili. S’agit-il de le liquider physiquement ou de le menacer suffisamment afin qu’il renonce à ses activités d’opposant établit à l’étranger, on saura sans doute jamais la vérité sur la teneur exacte de cette réunion tant ces deux personnes ne sont plus de ce monde pour en témoigner.

Toujours est-il, selon le témoignage de Hichem Aboud, ancien agent de la sécurité militaire, Lakhal Ayat prend les choses en main.

Peu de temps après cette réunion, Lakhal Ayat réunit son staff pour monter l’opération contre Mecili. Son exécution est confiée au capitaine Rachid Hassani, un ancien gendarme qui a intégré les rangs de la DCSM.

Au début de l’année 1987, le plan se met en marche. Pour neutraliser Ali Mecili, il faut un exécuteur, une arme, de l’argent.

C’est alors qu’un certain commandant Kader débarque à Paris où il prend attache avec un certain Samy, mais surtout avec un dénommé Abdelmalek Amellou.

Surnommé le boxeur, Amellou, 32 ans, blond aux cheveux roux frisés, vit entre Paris et Alger.

Dans la capitale parisienne, Amellou dit exercer le métier d’artisan électricien. Toutefois, il est davantage connu des services de la police pour ses antécédents judiciaires que pour ses performances comme électricien.

Condamné à plusieurs reprises, notamment pour vols, escroqueries, proxénétisme, détention d’armes, il a déjà fait l’objet en 1975 d’un arrêté d’expulsion non exécuté.

A Paris, Amellou mène grand train. Il roule dans une BMW cabriolet et une Porche rouge, partage sa vie avec une stripteaseuse, connue comme une louve blanche dans les bars du quartier de Pigalle, Fatna Beliali, possède onze comptes bancaires et voyage souvent avec sa concubine en Espagne, en Allemagne, en Tunisie et aux USA.

A Alger, Amellou est propriétaire d’une entreprise d’électricité qui emploie six personnes. Ses clients ? Des gradés de l’armée, entre autres, pour qui il effectue des travaux dans leurs résidences.

Le choix du commandant Kader se porte donc sur Amellou pour exécuter Ali Mecili. Montant du contrat ? 977 000 francs, ou peut-être plus. 117 000 remis comme avance, 800 000 francs à l’exécution du contrat.

Bien qu’il possède un P.38, Amellou se fait remettre une arme munie d’un silencieux. Quitte à faire le boulot, autant ne pas faire de bruit.

Mardi 7 avril, Ali Mecili est exécuté de trois balles dans le hall de son immeuble.

Le soir même, le ministre français délégué à la Sécurité, Robert Pandraud, téléphone au ministre algérien de l’Intérieur El Hadi Khediri pour lui faire part de la nouvelle.

Selon le récit fait par Hocine Ait Ahmed dans son livre « L’Affaire Mecili » *, M. Khediri s’est montré offusqué de cet appel. « Je ne vois pas pourquoi vous m’appelez pour me dire cela », répond le ministre algérien.

Le 15 avril, une semaine après l’assassinat de Mecili, l’hebdomadaire Le Canard Enchainé écrit : « A Matignon, au Quai d’Orsay et à l’Intérieur chacun tient les services secrets d’Alger pour responsables de l’exécution. Les excellentes relations actuelles entre Mitterrand et Chadli ou entre Pasqua-Pandraud et leurs homologues algériens n’empêchent pas les soupçons. Mais ! Pas de vagues ! Il ne faut surtout pas contrarier Alger. »

Donc, pas de vagues. Il ne faut surtout pas que cet assassinat soit assimilé à un crime orchestré par l’Etat algérien.

Le 10 avril, Bachir Rouis, ministre algérien de l’Information, intervient sur les ondes de Radio Monte Carlo : « L’Algérie n’a absolument rien à voir avec cet assassinat et n’a jamais recouru à de pareils procédés », affirme-t-il.

L’ambassadeur d’Algérie à Paris, Abdelhamid Mehri, abandonne dans le même sens. Pour lui, l’affaire n’est pas de celle qui pourrait remettre en cause les relations entre la France et l’Algérie.

« Je ne crois pas que cette affaire aura des conséquences sur les rapports entre Paris et Alger. Les responsables de part et d’autres sont assez clairvoyants pour situer les relations entre les deux pays à un niveau supérieur », affirme-t-il aux journalistes.

Hocine Ait Ahmed, leader du FFS, compagnon d’Ali Mecili, lui ne doute de rien. Quand il accuse l’Etat algérien d’être derrière le coup, la presse algérienne l’accuse de ne pas manquer « aucune occasion pour ternir l’image de l’Algérie et de son président Chadli Bendjedid ».

Et l’assassin ? Lui est déjà repartit en Algérie.

Si l’assassinat d’Ali Mecili fait grand bruit en France tant il rappelle ces séries d’assassinats politiques dont ont été victimes des opposants algériens, l’enquête de la police française patauge.

Les enquêteurs ont bien retrouvé les trois douilles de l’arme sur les lieux du crime, mais il y a peu d’indices qui peuvent faire remonter vers l’assassin et les éventuels commanditaires.

Ces indices, ce sont deux coups de fils anonymes qui les fourniront à la police. Et il faut croire que le ou les informateurs ont été à la bonne source.

Le 14 mai 1987, la brigade mondaine de Paris reçoit un tuyau de première main. Que dit ce premier tuyau?

Ali Mecili aurait été tué sur contrat par un certain Malek. L’informateur fournit le numéro de téléphone de ce dernier, non sans préciser que celui-ci vit avec un Algérienne et que son casier judiciaire est passablement chargé.

Le 18 mai, un second tuyau arrive. Précis, net.

Il donne la filiation exacte du tueur présumé, Abdelmalek Amellou, signale l’existence de trois personnes liées au dossier, précise le montant du contrat ainsi que les deux voitures du tueur, voire encore l’endroit où elles sont garées.

La police décide de passer à l’action. Le 21 mai, le domicile d’Amellou est placé sur écoutes.

En Algérie où il est partit se mettre au vert, Amellou est pris en charge par le capitaine Rachid Hassani lequel mettra à sa disposition une voiture dont la carte grise porte l’immatriculation du ministère de la Défense ainsi qu’un ordre de mission, une sorte de sauf-conduit qui lui permet de circuler sans être inquiété lors des barrages de la police ou de la gendarmerie.

L’ordre de mission délivré, en date du 10 mai 1987 et portant la signature de Rachid Hassani, autorise Amellou et « son épouse » à circuler dans les zones militaires.

Samedi 06 juin 1987, presque deux mois après le crime, Abdelmalek Amellou est de retour à Paris.

Durant son absence, les écoutes téléphoniques effectuées par la police livrent plusieurs indices assez compromettants pour procéder à son interpellation.

Le 10 juin, Amellou est donc placé en garde-à vue ainsi que sa concubine.

Il s’en est fallu de peu pour qu’il échappe à son arrestation. C’est qu’Amellou devait repartir le jour même, c’est à dire le 10 juin, sur Alger, sur le vol d’Air Algérie prévu à 14 h 55.

Lors de la perquisition à son domicile, les policiers découvrent quelques pièces à conviction intéressantes. D’abord un mémo qui recèle des pépites.

Dans ce carnet saisi par la police, figure le nom du capitaine Rachid Hassani ainsi que ses quatre numéros de téléphones. Les enquêteurs découvrent également dans le portefeuille d’Amellou le fameux ordre de mission signé par ce même Hassani.

Lors de sa garde-à-vue, l’assassin présumé nie tout. A peine consent-il lors du second jour connaitre les noms des trois personnages cités par les informateurs qui ont tuyauté la police.

Interrogé sur l’ordre de mission, Amellou explique qu’étant propriétaire d’une entreprise d’électricité, il lui arrivait d’effectuer des travaux dans les résidences de certains gradés de l’armée. Pour ne pas se faire importuner, il s’était ainsi fait délivrer un sauf-conduit.

Rachid Hassani ? Amellou le connait depuis six ou sept ans. L’assassinat de Mecili ? Il en a entendu parler dans la presse. Son nom cité comme étant impliqué dans ce meurtre ? Des racontars de personnes jalouses de sa réussite. Le commandant Kader, celui-même venu spécialement d’Alger pour monter l’opération ? Amellou connait un certain Kader rencontré dans un bar du XII arrondissement, pas plus.

Bien que l’interrogatoire du prévenu livre plusieurs pistes et indices, la justice française se garde de le faire entendre par un juge d’instruction.

La garde-à-vue de 48 heures ordonnée dans le cadre de l’assassinat de Mecili terminée, Abdelmalek Amellou n’est pas mis en examen.

En revanche, il est placé dans une autre garde-à-vue, celle là rentrant dans le cadre de l’enquête sur les attentats terroristes de septembre 1986 à Paris.

Lors de cette seconde audition par la police, Amellou avoue avoir obtenu une villa au Club des Pins et avoir perçu la somme de 100 000 francs d’un certain commandant Bouzid.

Il avoue également que Rachid Hassani lui a remis un ordre de mission ainsi qu’une voiture de marque R5. Il raconte aussi avoir diné le 22 mai à Alger avec le même Hassani.

Dimanche 14 juin, la deuxième garde-à-vue s’achève. Abdelmalek Amellou ainsi que sa maitresse sont remis en liberté sans la moindre inculpation.

Entre temps, Robert Pandraud, ministre délégué à la sécurité, aura déjà signé son arrêté d’expulsion en « urgence absolue ». C’est à dire avant même la fin de la garde-à-vue.

Le soir du dimanche 14 juin 1987, Abdelmalek Amellou et Fatna Beliali sont embarqués, avec une douzaine d’expulsés algériens, sur le vol d’Air Algérie de 20 h 15 en direction d’Alger.

En Algérie, Abdelmalek Amellou sera pris en charge par ses commanditaires.

S’il a déjà perçu l’avance pour son contrat, 100 000 ou 117 000 francs, il reste la partie la plus importante : 800 000 francs.

Ce qui reste de la commission, Amellou va le percevoir à Skikda, à l’est d’Algérie, quelques mois après la mort d’Ali Mecili.

C’est Mohamed Samraoui, ancien officier de la sécurité militaire, aujourd’hui réfugié en Allemagne, qui prendra en charge Amellou.

A l’époque opérant dans la région de l’Est, Samraoui réceptionne Amellou, l’installe à l’hôtel Salem, assure sa sécurité avant d’assister à la remise de la fameuse enveloppe sur la terrasse de l’hôtel.

En présence de Samraoui donc, le capitaine Rachid Hassani remet à Amellou une mallette d’argent contenant les fameux 800 000 francs.

Vingt quatre après l’assassinat d’Ali Mecili, l’affaire reste encore au stade de l’instruction.

* Hocine Ait Ahmed, L’Affaire Mecili, édition Bouchene, 1991

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