PREMIERE INTERVIEW DE BENKIRANE SUR LA CHAINE AL OULA

Costume et chaussure noire, chemise blanche au col à peine visible… Et, comme à l’accoutumée, sans cravate. En cette soirée du samedi 3 décembre, Abdelillah Benkirane s’exprime pour la 1re fois en sa qualité de nouveau chef du gouvernement. L’interview d’une heure, diffusé en prime-time sur Al Aoula à 21h 15mn, annonce une rupture dans la nature du discours politique.

Un ton spontané où fusionne la darija surtout, avec un mélange d’arabe classique et de quelques mots en français. Dès le départ, le téléspectateur est saisi, se croyant ainsi en tête à tête avec le chef du gouvernement. D’autant plus qu’il s’exprimera sans protocole sur son look, son tempérament…

L’actualité d’abord, avec une réalité juridique imposée par le code électoral : pas de majorité absolue. «Pour former la coalition gouvernementale, notre premier penchant va vers la Koutla (USFP, PPS et Parti de l’Istiqlal). Une première étape des négociations a été close», déclare le chef de l’exécutif. Cela va-t-il prendre encore du temps? interroge notre consœur Fatima Baroudi. Là le numéro 1 du Parti de la justice et du développement (PJD) raconte une anecdote politique: «Lorsque Abderrahman El Youssoufi a entamé la formation du gouvernement de l’alternance (1998-2002), Hassan II le rassure en lui demandant “de prendre tout son temps”…». Est-ce dire que les négociations vont encore durer? Benkirane, la barbe finement taillée, précise en tout cas que «la Koutla n’a pas posé de conditions»; que ses rencontres avec les secrétaires généraux des 3 partis ont été «fraternelles».

Coalition «fraternelle»

Benkirane affirme avoir contacté Abdelouahed Radi, SG du parti socialiste (USFP). Ce dernier se disait «un peu fatigué», manière peut-être de se laisser désirer. Sans complexe, le leader du PJD s’est déplacé au domicile du socialiste pour mener des discussions. Le nouveau chef du gouvernement déclare publiquement «demander conseil» à son prédécesseur, Abbas El Fassi. La dernière réunion avec la Koutla remonte à mercredi 30 novembre. Il fallait se mettre d’accord sur «une approche collective», «la composition du gouvernement», «son agenda»… L’USFP, lors d’une rencontre avec Radi et Fathallah Oualalou (membre du bureau politique), déclare «avoir un débat interne qui concerne le parti avant tout (son avenir) et non pas avec le PJD». Diplomatiquement, le parti de la lampe estime «respecter la volonté» des socialistes. Mais leur entrée au gouvernement, «nous serait salutaire». Sauf que l’USFP aurait déjà décidé de basculer dans l’opposition. Quant au Parti du progrès et du socialisme (PPS), Benkirane «ne le perçoit pas via le nombre de ses sièges au Parlement». Plutôt comme un parti qui «n’est pas né hier». Scientifique de formation, le SG du PJD propose dans la foulée une définition pas du tout mathématique de la démocratie: «Ce ne sont pas des chiffres mais une histoire». Ali Yata, le fondateur du PPS -parti aux racines communistes et légalement reconnu en août 1974- est cité comme exemple. «Lui seul au Parlement, il avait plus de poids que des groupes parlementaires», argue l’interviewé.

Entre alliance et alliance!

Le rouge-sang du drapeau national tranche avec un plateau télé blanc et noir. Les propos s’aiguisent aussi. Est-ce qu’il y a scission au sein de la Koutla? demande la journaliste avec sa voix timide! Benkirane préfère plutôt parler de «divergences» sur la prise d’une décision à un moment donné et sur un cas précis (participation au gouvernement). Si scission il y a, «elle allait se produire depuis longtemps». L’USFP et le Parti de l’Istiqlal «sont à l’origine un seul parti».
Et le G8? «Comment s’appelle-t-il déjà?» interrompt le SG du PJD. «Alliance pour la démocratie», lui rappelle son interlocutrice également habillée en tailleur noir et blanc. Le G8 -«union» hétéroclite de formations politiques- regroupe le RNI, le Mouvement populaire, le PAM (l’ennemie de toujours), l’Union constitutionnelle et d’autres jeunes partis… Cette alliance naît il y a quelques mois se fissure déjà: «elle ne peut être comparée à la Koutla». Le chef du gouvernement temporise: «on reste les enfants d’une seule Oumma», puis relance «le G8 peut se dissoudre et je pense que ça arrivera». Il préfère «se retenir pour ne pas aller plus loin».

25 ministres, l’option plausible

L’on apprend aussi que Lahcen Daoudi, un des ténors du PJD, est «le chantre» d’un gouvernement réduit. Malgré les chiffres qui ont circulé, jusqu’à présent, aucun n’a été fixé pour les portefeuilles ministériels. Les consultations se poursuivent. «Difficile d’avoir un gouvernement à 20 ministres. Plutôt 25 départements, c’est la tendance majoritaire», précise Benkirane. «Pourquoi opter pour des ministres moins âgés que vous?» interroge derrière ses petites lunettes la directrice de l’information d’Al Aoula. Il est «gênant pour moi» de gouverner avec des grandes personnalités politiques qui «sont mes professeurs» (sans citer de nom). Certes la compétence prime, mais «un jeune ministre travaillera plus, sera motivé…». Dixit donc les dinosaures des postes ministériels, tels que Mohaned Laenser (MP) ou Radi, doyen des parlementaires? La question n’est pas posée. Benkirane y fera pourtant allusion: «nous n’avons pas envie d’avoir au gouvernement les visages dont ne veut plus la société». Qui, par ailleurs, «ne voudrait pas gouverner sans opposition? Quelle que soit l’alliance, l’essentiel est que les ministres travaillent à l’aise». Il est essentiel aussi d’avoir une opposition «dure et féroce» qui éveille le gouvernement.

Honneur aux dames

Il y a bien sûr l’inévitable question sur la présence des femmes au gouvernement. Là aussi Benkirane lève toute équivoque. «Qui peut créer aujourd’hui un gouvernement sans femme? C’est désormais une tradition politique instaurée par Hassan II». Pas question de l’abandonner. Le porte-parole du PJD se dit «prêt à soutenir les femmes pour avoir n’importe quel ministère au sein de son gouvernement». A condition bien sûr, qu’elle soit «compétente». Benkirane fait par la même occasion un hommage à sa mère et aux magistrates (indirectement aux femmes) qui vaut «plus que des hommes» qu’il a dû côtoyer. Deux exceptions: «une femme ne peut être ni reine, ni imam». La question religieuse surgie. Se focaliser sur l’islam serait aberrant. Démocratie et bonne gouvernance «sont nos vrais problèmes». Le plus important «est d’être transparent». La tribu des politiques est «arrogante». Elle «croit connaître» le Maroc: «il faut faire un tour dans les bidonvilles, les bleds reculés…». Pour les libertés individuelles, l’Exécutif rassure: «la liberté est un don de Dieu. Voile ou barbe, je ne me mêle pas de la vie privée des gens». Mais la loi est la loi en faisant allusion à la rupture du jeûne dans des lieux publics. Tel un chapelet, tout ce discours était saupoudré, de bout en bout, de versets coraniques et de hadiths. Amen.

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