Omar Raddad: « Je veux être réhabilité »

Omar Raddad, qui réclame une révision de sa condamnation en 1994 pour le meurtre de Ghislaine Marchal en 1991, réaffirme dans le Journal du Dimanche (JDD) sa volonté d’être réhabilité, alors qu’un film est en voie d’achèvement qui plaide sa cause.
Condamné à 18 ans de réclusion, M. Raddad, aujourd’hui âgé de 48 ans, a bénéficié d’une libération conditionnelle le 4 septembre 1998 après une grâce présidentielle partielle de Jacques Chirac.

Omar Raddad:
Omar Raddad a fixé le rendez-vous devant le Palais de justice de Toulon. Le 14 juillet à 13 h. En ce jour de fête nationale, les commerces sont fermés. Il propose alors de se rendre dans l’appartement de sa belle-mère au 15e étage d’une tour HLM. Là-même où sa vie a basculé. "C’était le 25 juin 1991, à 11 h 30. J’étais sur le balcon dans l’appartement d’à côté quand j’ai vu le car de gendarmes arriver." Dix-neuf ans après les faits, il n’a rien oublié, déterminé à obtenir sa réhabilitation. C’est son obsession. Ne pas laisser l’affaire tomber dans l’oubli.

A 48 ans, Omar Raddad porte les stigmates de son passé. Le cheveu a blanchi, le visage est émacié, les cicatrices bien présentes à l’image de ses traces de scarification sur ses avant-bras. L’ex-jardinier marocain, condamné à 18 ans de réclusion, a purgé "7 ans, deux mois et huit jours" avant d’être gracié en 1998. Aujourd’hui, il affiche une combativité indéfectible. Et peut se montrer drôle quand il se rappelle sa première garde à vue: "J’ai cru que c’était une caméra cachée…"

Qu’avez-vous ressenti en assistant au tournage du film Omar m’a tuer?

J’ai assisté à deux scènes à Cannes et Montpellier. A Cannes, ça a été un choc. J’ai pleuré. J’ai redécouvert l’appartement où je vivais en 1991, quand la police a effectué les premières perquisitions après mon arrestation. Ce n’est pas une fierté de me revoir comme à l’époque. De revoir toute cette souffrance. Je parlais à peine français, je ne comprenais rien aux questions des gendarmes, j’étais perdu. Sur le tournage, c’était vraiment troublant. Sami Bouajila, c’est moi à 100 %. Il parle comme moi, bouge comme moi, sauf qu’il est plus petit. Il a perdu 16 kg pour me ressembler. J’avais de la peine pour lui. Je sais, c’est son travail de comédien, mais quand même.

V ous aviez déjà publié un livre, Pourquoi moi? en 2002. Qu’attendez-vous du film?
J’espère qu’il va montrer toutes les incohérences du procès. S’il peut aider le public à comprendre l’affaire, à montrer comment je me suis mal défendu à l’époque, alors il sera utile. Maître Leclerc, qui fut l’avocat des parties civiles, avait un jour déclaré, sans parler de moi: "Les personnes innocentes se défendent toujours très mal."

Ce film va-t-il relancer le débat?

Visiblement, il en gêne certains. Maître Kiejman, qui fut aussi avocat des parties civiles, a déjà dit tout le mal qu’il en pensait. Il ne l’a pas vu, mais il le condamne à l’avance. Il a dit que ce film était une insulte à la victime. Je ne comprends pas… Avec mon affaire, on est au-delà de l’erreur judiciaire.

Pensez-vous avoir été victime d’une justice de classe?

Dès le premier jour, ils savaient que j’étais innocent, mais ils ont mené une enquête à charge. Il faut savoir que le fils de Mme Marchal a été élevé par la sœur de Mme Marchal, magistrate, épouse du bâtonnier Bertrand de Bigault du Granrut, une sommité du monde judiciaire parisien. On a fabriqué un coupable idéal, comme l’a écrit Jean-Marie Rouart dans son livre. Certains ont parlé d’un procès raciste. Moi je n’ai jamais dit ça malgré des dérapages. Le juge Djian, par exemple, qui m’avait déclaré en arabe: "Celui qui ne sait ni lire ni écrire devrait se cacher au fond d’un trou." Et j’avais répondu: "Pourquoi se cacher?" Par la suite, lors du procès, à une déclaration de mon épouse qui avait dit aux gendarmes que j’étais incapable de faire du mal à une mouche, le juge avait rétorqué: "Peut-être, mais il tue des moutons."

Omar Raddad:
Concrètement, quels faits accréditent la thèse d’un complot?

Prenez la date de la mort de Madame Marchal. Au début, les trois médecins légistes l’avaient établie au 24 janvier. Ce jour-là, j’étais à Toulon. J’étais donc blanchi. Mais le juge Renard [mis en retraite en 2005 pour violation du secret professionnel, faux et usage de faux dans une autre affaire] a appelé les médecins pour les pousser à dire que la mort s’était produite le 23. Il a confirmé cette intervention dans un documentaire sur l’affaire

Y a-t-il des témoins qui auraient pu vous disculper?

Absolument. Un ouvrier tunisien a vu des gens frapper à la porte de la maison le 24. Le jour du procès, il était en Tunisie. Les gendarmes l’avaient invité à quitter la France car il n’avait pas de papiers en règle. Et pourquoi la justice n’a jamais enquêté sur l’entourage de Madame Marchal? Au lieu de se poser les vraies questions, on a dit: "Omar aime les casinos et les jeux d’argent". C’est vrai. Je ne m’en suis jamais caché. Mais je ne vais pas tuer ma patronne pour 2.000 francs. Les enquêteurs se sont contentés de l’inscription "Omar m’a tuer". Mais comment une femme âgée, assommée, poignardée de 16 coups de couteaux, a pu se traîner d’un bout à l’autre de la pièce pour écrire "Omar m’a tuer" puis "Omar m’a t". J’ai essayé de le faire dans ma cellule des milliers de fois, dans le noir, c’est impossible !

Quelles sont aujourd’hui les chances de voir aboutir un second procès?

Je l’ignore. En 2008, j’ai rencontré le directeur de cabinet de Rachida Dati. Sans suite. Il y a quelques mois, j’ai envoyé une nouvelle demande à Michèle Alliot-Marie. J’attends une réponse… Beaucoup me disent : "Tu as été gracié, tu devrais être content" ou "oublie tout et fais ta vie". Et bien non. J’ai été gracié mais je n’ai pas été innocenté. Je veux être réhabilité. Je suis libre physiquement mais dans ma tête je suis toujours en prison. Si j’étais coupable, je ne prendrais pas le risque d’un second procès. Si j’étais coupable, je n’aurais pas fait deux grèves de la faim, de 45 jours et deux mois et demi. Au bout d’un moment, on sent la mort se propager dans tout son corps. J’ai pris des risques avec ma vie. Pas pour mourir, on aurait pu l’interpréter comme un aveu. Si je mourrais, qui parlerait pour moi?

Vous avez appris à vous défendre…

Je connais mon dossier page par page, mot pour mot. Depuis 2002, il existe des éléments nouveaux. Je parle des deux empreintes retrouvées dans l’inscription "Omar m’a tuer", écrite avec le sang de Madame Marchal. La justice a établi qu’il s’agit de deux ADN masculins mais pas du mien. Je suis convaincu que ces ADN sont ceux des véritables criminels. Mais en 2002, la justice a refusé d’ouvrir un second procès sur ces nouveaux éléments, au prétexte qu’il était impossible de déterminer par qui et à quel moment ces traces avaient été laissées. Visiblement, poser ces questions gêne des personnes bien placées… Ou alors ils ont du mal à reconnaître: "On s’est trompés, c’est pas Omar".

Qu’elle est votre intime conviction sur l’identité du coupable?

J’ai une idée mais je n’ai pas le droit de le dire. Attention, j’ignore qui a commis le meurtre, j’ai mon idée sur les personnes derrière ce crime. Je sais combien ça coûte d’accuser quelqu’un pour un crime qu’il n’a pas commis. Mais je continue à me demander pourquoi la famille a réclamé et obtenu l’incinération du corps de Madame Marchal une semaine après son assassinat, alors qu’elle avait acheté un caveau pour se faire enterrer. Cette décision a rendu impossible toute contre-expertise.

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