Nicolas Sarkozy: « Nous devons nous poser la question de l’immigration légale » (L’Express)

Nicolas Sarkozy répond aux questions de L’Express à paraître mercredi.

Nicolas Sarkozy:
Les événements au sud de la Méditerranée inquiètent l’Europe: comment renforcer l’Union?

Plus le temps passe, plus je me sens engagé dans l’idéal européen; je le suis davantage qu’au début de ma carrière politique, et même plus qu’au début de mon mandat. J’ai appris qu’on ne peut pas faire les choses seul, quelle que soit la force de la France. La défense et la pérennité de notre modèle de société passe par le renforcement de l’Europe. Le principal danger pour l’Europe: l’immobilisme. La priorité, c’est d’intégrer les Balkans: ne laissons pas un Etat en partie musulman seul au coeur de l’Europe.

Pour le reste, vous connaissez ma position: l’élargissement à la Turquie serait un contresens historique et géographique. La géographie fait l’Histoire, la démographie accélère l’Histoire. Enfin, il faut poursuivre l’intégration économique de la zone euro. Le débat entre fédéral et confédéral n’a plus de sens, car il faut les deux: du fédéral dans la zone euro, avec le gouvernement économique que nous avons mis en place; du confédéral pour ceux qui ne sont pas dans la zone euro, car plus nous serons nombreux en Europe, plus il faudra de la souplesse.

Et Schengen?

Je crois en Schengen, mais le système doit évoluer, il est aujourd’hui en bout de course. Avec les perspectives démocratiques en Afrique du Nord, nous devons être prêts à former des étudiants, accueillir des hommes d’affaires; mais accepter tout le monde, comme le disent les socialistes français, non, c’est tout l’équilibre de notre système social qui serait mis en cause. Ces pays ont besoin de leurs élites pour se développer. Qui gère Schengen à Bruxelles? Personne. Qui évalue Schengen aux frontières? Personne. Qui évalue les bonnes pratiques dans Schengen? Personne. Sangatte, en 2002, c’était comme Vintimille aujourd’hui: des Kurdes, des Irakiens, des Somaliens qui voulaient aller en Angleterre. Nous avons mis cinq ans à régler le problème. L’Europe doit aider l’Italie à faire de même avec les Tunisiens. La France, le pays le plus généreux en matière d’asile, fera des propositions au Conseil européen de juin. Après les premières élections dans les nouvelles démocraties d’Afrique du Nord, il faudra des règles d’immigration concertées et un développement économique partagé. Si un pays européen ne peut garder ses frontières, la question de la suspension provisoire de Schengen doit être posée sans tabou.

La poussée du populisme en Europe est-elle la conséquence de cet immobilisme?

Pourquoi dites-vous "en Europe"? Que sont les Tea Parties? Et Sarah Palin? Et Hugo Chavez? Plus le monde est un village, plus les peuples prennent conscience que leur sort dépend de ce qui se passe à l’autre bout du monde, et plus ils sont attachés viscéralement à leur territoire. Contrairement aux prévisions, la mondialisation a renforcé le besoin d’enracinement. L’un des plus grands intellectuels français du XXe siècle, Lévi-Strauss, a dit: "L’identité n’est pas une pathologie." C’est la clef. Les citoyens du monde comprennent qu’ils sont interdépendants, mais ne veulent pas d’une culture aplatie. Or l’interdépendance crée une identité, une culture moyennes, ce qui nourrit une crainte et donne des mouvements comme les "vrais Finlandais". Plutôt que de dire "Que c’est immoral, que c’est laid, le populisme!", confortablement installés dans le sentiment d’appartenance à une élite si arrogante, comprenons ces craintes et apportons des réponses concrètes: réforme de Schengen, régulation de la mondialisation, gouvernement économique, taxe sur les mouvements financiers… La réponse à la souffrance des peuples et aux peurs doit être concrète, pragmatique, en prise avec la réalité, en aucun cas moralisatrice et donneuse de leçons.

Pendant ce temps, Marine Le Pen et le FN montent, comme on l’a vu aux cantonales…

Analysons précisément les faits: sur 1900 cantons en jeu, 2 cantons seulement ont été gagnés par le FN. Et encore, cette formation n’a pas obtenu davantage de voix qu’aux régionales de 2010. Au premier tour, parce que ça ne compte pas, certains de nos concitoyens peuvent avoir le sentiment qu’on peut voter FN pour manifester ses insatisfactions. Mais il faut prendre conscience qu’il n’y avait jamais eu dans l’histoire du monde, depuis 1945, une crise comme celle que nous avons traversée, touchant tous les secteurs et toutes les régions. N’ayons pas de suffisance face à ce phénomène, ne répondons pas aux peurs en faisant la morale – c’est insupportable. Quand je vois qu’on en appelle à Tariq Ramadan, qui est un fondamentaliste, pour répondre à Le Pen! Je me demande si certains voient le décalage entre ce qu’ils disent et ce que vivent les Français.

Les propositions de Claude Guéant sur la limitation de l’immigration légale soulèvent des critiques, comme celle d’Alain Minc: "C’est un thème dont l’inconscient rime avec protectionnisme, corporatisme, malthusianisme, le tout nimbé d’une once de xénophobie". Les entendez-vous?

Claude Guéant a eu raison de ne pas en faire une question idéologique: la population active de la France augmente de 110 000 personnes par an. C’est-à-dire qu’avant de faire reculer le chômage d’une unité, il faut avoir déjà créé 110 000 emplois! Avec nos difficultés à fournir un travail à tous nos nationaux, et un chômage à 23 % pour les étrangers non communautaires, nous devons nous poser la question de l’immigration légale: c’est du bon sens. Je ne dirais pas la même chose si je dirigeais l’Allemagne, où il y a 100 000 actifs de moins par an. Je n’ai jamais été pour l’immigration zéro, car les civilisations s’effondrent par la consanguinité et non par le "melting pot". Mais nous devons adapter l’immigration économique à ces réalités et faire en sorte que notre formation professionnelle réponde aux besoins de notre économie.

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