Municipales : le PS va-t-il perdre le vote des électeurs issus de l’immigration ?

Laurent Chalard est géographe et travaille notamment pour un think tank bruxellois, le European Centre for International Affairs. Il explique pourquoi la population d’origine étrangère, qui votait traditionnellement à gauche, pourrait s’abstenir.

A la veille du premier tour des élections municipales, plusieurs indicateurs laissent penser que le parti socialiste pourrait bien être le grand perdant de ces élections: -Une usure prématurée du Président de la République, François Hollande, dans le cadre d’une élection mi-mandat couperet, traditionnellement défavorable au pouvoir en place, -Une situation de départ favorable au PS, en l’occurrence le contrôle de la plupart des grandes villes du pays, ce qui fait qu’il a plus à perdre qu’à gagner, -Une montée du populisme qui pourrait rendre le Front National arbitre du jeu dans certaines villes de taille moyenne.

Cependant, un élément primordial pourrait bien venir déjouer les pronostics, qui est la montée de l’électorat d’origine extra-européenne, faisant suite aux nombreuses acquisitions de nationalité française, qui ont concerné 627 000 personnes toutes origines confondues entre 2008 et 2012, auxquelles il faut ajouter les nouveaux inscrits de plus de 18 ans, français descendants des immigrés extra-européens, qui selon les données provisoires calculées par la démographe Michèle Tribalat s’élèveraient à 100 000 personnes par an en moyenne, soit 600 000 personnes entre 2008 et 2013. Avec le vieillissement de la population, l’immigration extra-européenne est aujourd’hui le principal facteur démographique de l’évolution de l’électorat. Or, la forte concentration de cette population dans les grandes métropoles pourrait potentiellement avoir des conséquences concernant les résultats des élections municipales de 2014.

En effet, comme l’ont montré de manière frappante les élections présidentielles de 2007 et de 2012, l’électorat français d’origine extra-européenne reporte massivement ses voix à gauche, en particulier au parti socialiste, qui a su plus que le parti communiste s’attacher ces populations, apparaissant un peu plus à l’aise avec le multiculturalisme, les communistes pour des raisons idéologiques niant les différences culturelles (le basculement du département de la Seine Saint Denis aux socialistes en 2008 en est le témoignage le plus marquant). De nombreuses communes populaires ont largement accordé leurs voix à François Hollande au second tour des élections présidentielles de 2012 (74 % à Grigny dans l’Essonne par exemple) et un nombre non négligeable de communes détenues localement par la droite ont voté à gauche (parmi d’autres, nous pouvons citer Châtenay-Malabry, Corbeil-Essonnes ou Le Mée-sur-Seine).

Les socialistes auront beaucoup plus de difficultés à inciter les électeurs à se déplacer aux urnes qu’aux élections présidentielles de 2012, ne disposant plus de « l’épouvantail Sarkozy ».
Jusqu’ici, ce phénomène ne s’est guère ressenti aux élections municipales, du fait de la forte abstention, voire de la non-inscription sur les listes électorales, des français d’origine extra-européenne. En conséquence, le nombre de ces votants a, pour l’instant, généralement était insuffisant pour faire basculer les élections à cet échelon. Les choses vont-elles changer en 2014? Il est impossible de le projeter, le futur étant par définition imprévisible, mais il ne fait guère de doute que le résultat sera surtout lié aux stratégies des grands partis politiques nationaux.

Si le parti socialiste arrive à mobiliser cet électorat aux effectifs grandissants, il pourrait très bien s’en sortir dans les grandes métropoles, voire gagner du terrain en Ile de France, maintenant son avance dans les villes-centres et remportant de nouvelles communes de banlieues, sous réserve que le reste de son électorat se déplace. Cependant, les socialistes auront beaucoup plus de difficultés à inciter les électeurs à se déplacer aux urnes qu’aux élections présidentielles de 2012, ne disposant plus de «l’épouvantail Sarkozy», qui avait l’avantage de cristalliser la haine des populations d’origine étrangère depuis les émeutes de 2005. Par contre si cet électorat, beaucoup plus jeune que la moyenne, ne se rend pas aux urnes, ne se sentant pas concerné, on reviendrait à une situation plus classique, où la droite républicaine aurait des chances de faire quelques gains électoraux dans les grandes métropoles, relevant plus de l’abstention que d’un gain en nombre de voix, s’avérant donc précaires. Paradoxalement, l’UMP, principal parti d’opposition, a donc plutôt intérêt à favoriser l’abstention qu’à inciter au vote-sanction, son discours à l’heure actuelle ne lui permettant pas d’espérer récupérer des voix auprès de ces populations. La plus ou moindre réussite de ces deux stratégies sera à l’origine du résultat des élections municipales.

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