Moines de Tibéhirine : l’armée algérienne mise en cause

Entendu par le juge français Marc Trevidic, un homme se présentant comme ex-agent des services secrets algériens accuse l’armée.

Un homme se présentant comme un ex-agent des services secrets algériens, entendu en janvier par le juge français Marc Trevidic, a mis en cause l’armée dans l’assassinat en 1996 des moines cisterciens de Tibéhirine, a rapporté une source proche du dossier.

La thèse officielle est celle d’un crime commis par le Groupe islamique armé (GIA) de Djamel Zitouni. Après avoir revendiqué le rapt, l’organisation avait annoncé le 23 mai la décapitation des captifs. Leurs têtes étaient retrouvées le 30 le long d’une route.

Mais cette version a été contestée lors de l’enquête française ouverte en 2004. L’ancien attaché militaire français à Alger a évoqué en 2009 une "bavure" de l’armée algérienne qui aurait tué les moines lors d’un raid d’hélicoptères sur un bivouac de djihadistes, un dérapage qui aurait été maquillé en crime du GIA.

D’anciens militaires ont évoqué une manipulation des services secrets algériens, leur imputant la responsabilité du rapt. Comme mobiles possibles, la volonté de se débarrasser de témoins gênants, de faire pression sur la France ou de discréditer les GIA aux yeux de la communauté internationale.

Liens étroits entre services secrets et terroristes

C’est un nouveau témoignage allant dans ce sens, mais tout aussi difficile à corroborer, qu’a recueilli le 21 janvier le juge Trevidic. Mourad B., aujourd’hui âgé de 34 ans et vivant en Savoie où il est menacé d’expulsion, a expliqué au magistrat être entré fin 2006-début 2007 dans les services algériens, qui l’ont chargé d’infiltrer les rangs islamistes, sous le nom de code d’Abou Nadil, a rapporté une source proche du dossier.

Disant avoir dépendu du centre territorial de recherche et d’investigations d’Oran (CTRI), il aurait constaté que les groupes jihadistes étaient largement infiltrés par les services algériens : "Des terroristes téléphonaient et j’ai entendu des conversations", "J’ai vu des mères de terroristes venir au centre militaire d’investigations et on leur donnait de l’argent", a raconté Mourad B..

Fin 2009, début 2010, il exprime le souhait d’arrêter de travailler pour les services. Cet "infiltré" explique qu’un supérieur l’aurait alors prévenu "qu’on ne sortait pas de chez eux comme on y entrait". Un autre officier se serait ensuite fait plus précis dans ses menaces : "Si tu nous trahis, on fera ce que le colonel (…) a fait aux moines", l’aurait prévenu ce supérieur, selon sa déclaration.

Mourad B. quitte finalement l’Algérie début 2011 pour la France. Son titre de séjour a depuis expiré, le plaçant sous la menace d’une expulsion vers l’Algérie où, dit-il, il serait en danger. "Cette audition apporte un élément supplémentaire dans le sens de l’implication des services algériens", a commenté l’avocat des familles des moines, Maître Baudouin, qui a toutefois appelé à la prudence, "le témoignage n’étant pas direct".

Décapitation post ou ante mortem

Pour tenter de faire le départ entre les versions, les juges Marc Trevidic et Nathalie Poux se sont rendus à l’automne en Algérie, notamment pour autopsier les têtes des moines (les corps n’ont jamais été retrouvés). Établir que les décapitations ont été réalisées post mortem serait de nature à accréditer la thèse d’une manipulation pour dissimuler les causes du décès et faire croire à l’implication des islamistes.

Mais Alger a refusé d’envoyer des prélèvements en France pour des analyses. Les familles des moines de Tibéhirine y ont vu une "confiscation des preuves" et ont considéré qu’avec ce refus la version officielle d’un crime islamiste avait encore perdu du crédit.

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