Mohammed VI, le médiateur

Par Mustapha Tossa

Alors que les bruits de bottes se faisaient entendre dans la région, que le cliquetis des armes résonnent de manière lugubre annonçant une période belliqueuse et incertaine, un homme, un chef d’Etat, un Roi a pris son bâton de pèlerin, arboré ses convictions de paix, de réconciliations, de fraternité en bandoulière pour tenter ce qui semble pour beaucoup à un objectif impossible à atteindre: sinon réconcilier, du moins baisser la tension entre deux frères ennemis, le Qatar et les Emirats Arabes unis . Ces deux puissances régionales se trouvent actuellement au cœur d’un grand jeu d’axes qui se reconstruit pour mieux s’affronter. D’un côté les émirats arabes unis le centre d’une architecture politique qui regroupe l’Arabie Saoudite, le Bahreïn et l’Egypte. De l’autre côté, le Qatar qui est parvenu à coaguler autour de lui les intérêts de pays aussi divers que l’Iran et la Turquie.

À examiner de plus près l’épaisseur des antagonismes qui opposent ces deux capitales, Abou Dhabi et Doha, la virulence des accusations qu’ils s’échangent par voie de presse et de réseaux sociaux, fait apparaître au grand jour la difficile tâche, les immenses défis d’une mission de médiation telle que l’a voulue le Roi Mohammed VI. Et il a fallu tout le magistère moral, toute la crédibilité internationale basée sur l’infatigable défense des intérêts communs pour partir de manière naturelle des Emirats vers le Qatar. Dans leurs violents affrontements, ces deux pays ont déjà exigé des multiples protagonistes qui les entourent, notamment arabes, de choisir leur camp et de prendre position comme en témoigne l’angoissante crise libanaise.

C’est pour ces raisons qu’il était parlant sur le plan politique et symbolique d’avoir en l’espace de quelques heures des photos du Roi Mohammed VI avec le prince héritier des Emirats arabes unis Mohamed Ben Zayed et avec l’émir du Qatar, Tamim Ben Hamad.

Pour le Roi Mohammed VI, il s’agissait d’un défi historique: manager la relation explosive entre deux puissances régionales qui ont porté le recours au soft power à son zénith au point d’en devenir les maîtres absolus dans la région. Le premier, le Qatar avec sa turbulente chaîne de télévision Al Jazeera, ses gigantesques investissements ciblés dans les joyaux de l’économie mondiale, sa diplomatie active et son tropisme envers tous les mouvements politiques en rupture de ban, y compris ceux qui fricotent avec le radicalisme et le terrorisme. De l’autre côté, les Emirats arabe unis qui se posent non seulement comme un modèle économique pour puissances émergentes, mais comme un pays qui aspire à produire une stratégie et un discours pour contrer le repli identitaire islamisant qui conduit à terme au recours à la violence comme expression politique. D’où une diplomatie économique et humanitaire très active et une ouverture sur le monde déterminée qui lui a permis l’acquisition de label aussi prestigieux de la culture et du savoir-faire français comme l’université de La Sorbonne ou le prestigieux musée du Louvre d’Abou Dhabi.

D’ailleurs, fait exceptionnel, le Roi Mohammed VI était présent, en compagnie du président français Emmanuel Macron, pour le lancement spectaculaire du « Louvre Abou Dhabi ». Initiative destinée à consolider dans l’imagerie internationale, l’ouverture des Emirats sur le monde et son adhésion aux valeurs de la tolérance et du vivre ensemble.

La démarche de Mohammed VI n’a pas échappé aux tentatives de sabotage comme celle qui a constitué à publier sur les réseaux sociaux un photomontage grotesque dans lequel on voit Mohammed VI arborer une écharpe blanche avec une inscription politique: "vous avez le monde et nous avons Tamim". Le but cette initiative, jugée par les autorités du Qatar comme un acte malveillant, est de porter atteinte et brouiller l’image de neutralité et les valeurs d’objectivité portées par cette démarche royale. D’ailleurs, les autorités du Qatar ont profité de cet incident qualifié de « regrettable » pour confirmer le succès de la visite du Roi à Doha avec tous les multiples messages et espoirs qu’elle portait.

Avant de se livrer à cette démarche de médiation entre les frères ennemis des pays du Golfe, Mohammed VI a été l’un des rares chefs d’Etats arabes, pour ne pas dire le seul, à avoir livré un des pronostics les plus inquiétants sur les dangers qui guettent cette région. Ce fut lors du Sommet de Ryad Maroc – Pays du Golfe le 20 avril 2016 Riyad. Le souverain a eu cette vision et ce diagnostique prémonitoire qui, au regard des événements actuels, résonnent lourdement : « La situation est grave, surtout au regard de la confusion patente dans les prises de position et du double langage dans l’expression de l’amitié et de l’alliance, parallèlement aux tentatives de coups de poignard dans le dos. Que veulent-ils de nous ? Nous faisons face à des complots visant à porter atteinte à notre sécurité collective. Ceci est clair et n’a pas besoin d’analyse. Ils en veulent à ce qui reste de nos pays, qui ont pu préserver leur sécurité, leur stabilité et la pérennité de leurs régimes politiques ».

Mohammed VI, le médiateur, est sans aucun doute préoccupé par ce souci de maintenir la stabilité régionale et de veiller à la défense de la sécurité collective des pays arabes amis et alliés en mettant tout en œuvre pour encourager le dialogue et la résolution des divergences et autres conflits par voie diplomatique. S’il n’est pas attendu que cette visite puisse aboutir dans l’immédiat à une réconciliation brusque entre Doha et Abou Dhabi, il est manifeste qu’elle participe à baisser les tensions et à maintenir des voies de dialogue et de communication.

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