«Mohamed, ce n’est pas courant. Tu vas t’appeler Alexandre, ça passe mieux»

«Mohamed, ce n'est pas courant. Tu vas t'appeler Alexandre, ça passe mieux»
Un lycéen prénommé Mohamed, en stage dans la société de livraison Maximo à Tournes (Ardennes), a porté plainte pour discrimination contre la direction qui lui demandait de changer son prénom en Alexandre auprès des clients.

«Le directeur auprès duquel je me suis plaint m’a remercié comme si j’étais en tort. Ma dignité a été rabaissée», a indiqué le jeune homme de 19 ans, en terminale «comptabilité» au lycée professionnel Etion de Charleville-Mézières.

Il devait effectuer un stage d’un mois en tant que commercial dans la société de livraison d’alimentation à domicile. Son travail consistait à téléphoner à une liste de clients pour leur proposer des promotions.

Délit pénal

«J’avais préparé mon argumentaire ainsi : "Service clientèle, bonjour. Mohamed à l’appareil", quand le directeur adjoint est venu vers moi pour me dire : "Mohamed, ce n’est pas courant. Tu vas t’appeler Alexandre, ça passe mieux"», a expliqué le lycéen.

«Ça m’a choqué de la part d’un cadre, je suis français, né en France et je veux vivre avec mon vrai prénom comme tout le monde», a remarqué le jeune homme. Pour Xavier Médeau, son avocat, «on est en plein préjugé et en plein délire commercial, mais une telle atteinte aux droits fondamentaux ne peut être justifiée par des intérêts économiques».

L’avocat a rappelé que les faits constituent un délit pénal en évoquant un arrêt de la Cour de Cassation du 10 novembre 2009, qui stipule «que le fait de demander à un salarié de changer son prénom d’origine étrangère pour un prénom d’origine française est une atteinte à ses droits et une discrimination», a-t-il précisé. Contacté, le directeur de l’entreprise ardennaise n’a pas souhaité s’exprimer.

Dans un rapport remis en juillet dernier au ministre français de l’Immigration, Éric Besson, le bureau d’études Deloitte souligne combien le nom, mais aussi l’adresse peuvent porter préjudice à des candidats. Ces critères se conjuguent souvent. Des villes entières sont stigmatisées par les recruteurs, qui leur associent des publics en difficulté. Des testings montrent qu’un candidat portant un nom français est très largement écarté des entretiens d’embauche pour un poste de comptable, s’il vit dans une cité.

«Les entreprises de ma commune se méfient clairement d’un certains nombre de cités voisines lorsqu’elles embauchent» juge Marc-Antoine Jamet, maire du Val-de-Reuil, une ville duale où coexistent en s’ignorant des quartiers de grande pauvreté et une zone d’activité et par ailleurs secrétaire général de LVMH. «Les recruteurs cherchent toujours la sécurité, la tranquillité» reconnaît à regret, Henri Lachmann, qui préside le conseil de surveillance de Schneider.

Pour contrer ces préjugés et leurs conséquences délétères, le cabinet Deloitte (sollicité par le Conseil d’analyse stratégique pour réaliser l’étude commandée par Eric Besson lorsqu’il était ministre à la prospective), propose d ‘introduire dans la loi un nouveau motif de discrimination, le lieu de résidence.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) y réfléchit déjà. Car deux villes pauvres de la banlieue parisienne, la Courneuve et Grigny l’ont sollicité, estimant que leurs habitants subissaient collectivement une discrimination.

Les juristes envisagent, quant à eux, d’introduire dans le code du travail uniquement, une nouvelle discrimination, en plus de l’origine réelle ou supposée, de la religion, de l’apparence. Il serait interdit de discriminer quelqu’un pour son adresse. La victime devrait alors apporter la preuve d’avoir été écartée à cause de son lieu de résidence… ce qui n’est pas simple.

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