Mohamed Merah, une histoire de famille

Mohamed Merah, une histoire de famille
Un mois après les 7 morts de Toulouse et Montauban, l’enquête éclaire les relations contrastées entre le tueur et ses deux frères, Abdelkader, engagé dans l’islam radical, et Abdelghani, qui a coupé les ponts avec ses proches.

C’est désormais une certitude, Mohamed Merah, 23 ans, l’assassin de trois militaires, d’un professeur et de trois enfants juifs, n’était pas solitaire ni isolé. Un mois jour pour jour après la tuerie du collège Ozar-Hatorah à Toulouse, l’enquête a largement progressé, à la fois sur son parcours, son entourage, et sur les éventuelles complicités dont il a pu bénéficier.

Une chose apparaît clairement : la famille et quelques amis de Mohamed Merah connaissaient sa fascination pour le jihad, son goût pour les armes et les vidéos d’Al-Qaeda, l’existence de ses voyages au Pakistan et en Afghanistan. Ils avaient réagi de façons différentes. Son frère aîné, Abdelghani, 36 ans, en condamnant et en coupant les ponts. Le deuxième de la fratrie, Abdelkader, 29 ans, mis en examen pour complicité d’assassinats, s’était au contraire rapproché de Mohamed au moment de sa radicalisation. Selon des sources proches du dossier, il a déclaré aux enquêteurs, après les tueries, qu’il était «fier» de lui. Selon Abdelghani, Abdelkader serait même à l’origine de l’endoctrinement et de la dérive de leur petit frère.

Abdelkader, le frère complice ?

Selon des sources proches du dossier, il existe plusieurs éléments laissant supposer une complicité d’Abdelkader dans les assassinats commis à Toulouse et à Montauban. Eléments matériels, d’une part, et liés à ses déclarations, d’autre part.

Abdelkader apparaît dès l’épisode du vol du scooter T-Max 530, le 6 mars, qui va servir aux sept assassinats. Sur planche photographique, le propriétaire du véhicule a reconnu Abdelkader comme étant le voleur. Ce que conteste l’intéressé, répétant qu’il n’a fait qu’accompagner Mohamed lors du vol. Les enquêteurs ont par ailleurs retrouvé la preuve qu’il était à l’origine des achats du casque et du blouson de moto utilisés par son frère lors des crimes qu’il a commis.

Quand on lui a demandé pourquoi il équipe ainsi son cadet, Abdelkader répond qu’il se «doutait bien» que Mohamed allait «faire des conneries avec» le scooter volé, «des braquages de station-service, des vols, des agressions». Pourquoi le soutenait-il alors ? Parce que Mohamed «avait besoin de faire des coups, pour partir en voyage, pour trouver un filon. Cela veut dire trouver un réseau pour secourir la cause de Dieu.» Le grand frère reconnaît qu’il était au courant des séjours au Pakistan et en Afghanistan. «Je pense qu’il a eu des contacts avec Al-Qaeda», déclare-t-il à plusieurs reprises aux enquêteurs. Quand Mohamed raconte à Abdelkader ses voyages au Tadjikistan et en Afghanistan en octobre, novembre 2010, Abdelkader n’a alors «plus de doute quant à ce que [cherche] Mohamed».

A cette époque, le futur meurtrier confie également à son frère être rentré en Irak et avoir été contrôlé par des policiers irakiens. «Mohamed se faisait passer pour un touriste et c’est comme cela qu’il a trompé son monde, a expliqué Abdelkader. Il a réussi à faire passer une image de musulman pas sérieux, il faisait des petites conneries et a donné le change. C’était calculé.»

Anne-Sophie Laguens, avocate d’Abdelkader Merah, assure que son client n’a «non seulement évidemment aucun rôle de complicité logistique» dans les actes commis par son frère, «mais, au-delà de cela, n’était au courant de rien». Les enquêteurs s’interrogent, cependant, au sujet du coup de fil passé à la première victime, Imad Ibn Ziaten, assassiné le 11 mars à Toulouse. On sait maintenant que ce militaire avait mis en vente sa moto sur le site internet Leboncoin.fr. On sait aussi qu’il a été victime d’un guet-apens, un «acheteur» lui ayant passé un coup de fil depuis un taxiphone toulousain. Or le gérant de ce taxiphone a déclaré avoir vu Abdelkader dans sa boutique au moment où a été passé le coup de fil, alors qu’il dit n’avoir jamais vu Mohamed. Quelques jours plus tôt, Abdelkader avait passé une annonce sur Leboncoin.fr pour vendre sa moto. Des hasards, soutient Abdelkader : «C’est mon petit frère qui a appelé la victime.»

Parmi les autres éléments qui ont retenu l’attention des enquêteurs, un certain nombre ressortent de la perquisition effectuée au domicile d’Abdelkader. Sur des clés USB, les policiers ont retrouvé des fichiers effacés dont les noms évoquent le jihad. Sur son iPod, effacées mais restaurées par les enquêteurs, des consignes sur la préparation au jihad : «Que faire lorsque l’on est suivi, comment tromper le service de renseignement qui est aux trousses des jihadistes, comment tromper tout le monde pour s’intégrer dans leur communauté, comment communiquer quand une des cellules est démantelée, comment se renseigner sur les méthodes employées par les services secrets pour collecter les renseignements sur les jihadistes ?»

Dans la bibliothèque d’Abdelkader, des livres sur les armes, «car ceux qui n’aiment pas les armes sont des homosexuels» , des notes sur le fonctionnement des services de police, des ouvrages sur Al-Qaeda. A son domicile également, des DVD sur le 11 Septembre, plusieurs téléphones et cartes SIM, bien qu’Abdelkader ait précisé éviter au maximum d’utiliser téléphone portable ou Internet, comme son frère Mohamed. Enfin, les policiers sont tombés sur des matériaux pouvant entrer dans la «composition d’engins explosifs», notamment de la «paraffine liquide», de la «poudre» et des bouts de fils électriques.

Abdelghani, le frère qui dénonce

Plusieurs sources proches du dossier en font état : s’il est un témoignage défavorable à Abdelkader, c’est celui d’Abdelghani, l’aîné de la famille, qui l’accuse d’être antisémite et partisan d’un islam radical. Il raconte un épisode où Abdelkader l’aurait «poignardé», parce qu’il ne supportait pas qu’il soit en ménage «avec une Française d’origine juive». «Quand il était plus jeune, Abdelkader se faisait surnommer Ben Laden, a-t-il expliqué aux enquêteurs. J’ai d’ailleurs fait un signalement à la police qui a avisé la DST [Direction de la surveillance du territoire, ndlr]. C’était juste après les coups de couteau que j’ai reçus.»

D’après Abdelghani, c’est Abdelkader qui «est l’instigateur de l’islamisation de Mohamed». Il aurait aussi forcé leur mère, Zoulikha, à faire un deuxième mariage religieux pour qu’elle cesse de sortir avec des amies. Il s’estime «sûr et certain» qu’Abdelkader, qui avait pris un «fort ascendant» sur leur petit frère, l’a encouragé dans ses crimes. «Pour tout vous dire, j’aurais pensé que si l’un des deux était passé à l’acte, cela aurait été plutôt Abdelkader.»

«Abdelkader n’est pas antisémite, défend son avocate Anne-Sophie Laguens, et il ne fait partie d’aucun réseau. Il a avec Abdelghani des rapports compliqués, ce qui peut expliquer des choses.» A propos de son frère Mohamed, Abdelghani a dit se souvenir qu’il lui avait fait part de «sa haine pour les militaires arabes qui servaient la France et qui allaient se battre en Afghanistan». Il lui aurait aussi parlé de «sa haine des juifs». «Moi-même, il me considérait comme un mécréant, vu la relation que j’entretiens avec ma compagne qui a des origines juives.» Confrontée à ces déclarations, Zoulikha Aziri, leur mère a minimisé l’existence d’une «radicalisation» des deux frères. «Le terme de "mécréant", c’est moi qui l’ai employé», a-t-elle déclaré, expliquant avoir «honte» d’Abdelghani, car il ne faisait pas le ramadan et n’avait pas épousé une musulmane.

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