Mohamed Khelfaoui : « L’Algérie n’est donc pas immunisée » contre le terrorisme

ENTRETIEN. Après l’attentat de Tiaret, cet ancien officier de l’ex-Département de renseignement et de sécurité estime que l’Algérie devrait craindre de nouvelles attaques terroristes.

L’organisation État islamique a revendiqué l’attentat qui a tué jeudi 31 août deux policiers du quartier général de Tiaret, à 270 kilomètres d’Alger. Un kamikaze a déclenché sa ceinture d’explosifs en tentant d’entrer dans le bâtiment. Il s’agit du deuxième attentat-suicide contre la police cette année, après une attaque contre un commissariat de Constantine en février. L’agence officielle APS, citant la ­direction générale de la sûreté nationale, a précisé que « la riposte des policiers en faction a été prompte » et que « l’un d’eux, dans un acte de bravoure, s’est jeté sur l’assaillant […], perdant la vie en même temps que le terroriste dans l’explosion qui a suivi ». Un deuxième policier en faction a succombé à ses blessures. Ancien officier de l’ex-Département de renseignement et de sécurité (DRS), Mohamed Khelfaoui était en plein cœur de la lutte antiterroriste durant la décennie noire en Algérie, il dresse pour Le Point Afrique un constat pessimiste pour les mois et les années à venir.


Le Point Afrique : Un nouvel attentat kamikaze vient d’être perpétré contre la sûreté de la wilaya à Tiaret. Assiste-t-on à un regain de violence terroriste en Algérie ?


Mohamed Khelfaoui :
On ne peut pas dire qu’il y a « regain » de violence, si tant est que la violence eût un jour disparu. Le bulletin d’information quotidien que communique l’Armée nationale populaire (ANP) confirme une activité terroriste à travers l’ensemble du territoire national, certes de faible intensité, mais non encore éteinte. C’est un attentat qui rappelle à tout point de vue celui de Constantine revendiqué par ailleurs par Daech, qui a eu lieu quelques mois auparavant. Pour ma part, je pense que les années à venir seraient favorables à une recrudescence des actes terroristes si ce pouvoir, de plus en plus isolé sur le plan au moins régional, s’obstine à refuser toute réforme, en particulier celle de l’alternance aux commandes. Sur le plan intérieur, tout le monde constate la dévalorisation et la remise en cause de la probité de certaines institutions à l’image de la justice et des services de sécurité.


L’Algérie semblait pourtant relativement immunisée, notamment après la décennie noire du terrorisme. Très peu de jeunes Algériens ont rejoint les rangs de Daech contrairement aux autres pays de la région. Que s’est-il passé ?

Le terrorisme est l’expression armée de groupes acquis à une idéologie ou, pour le cas des mouvements religieux, à une interprétation de la religion (salafisme ou wahhabisme). Chez nous, on s’en souvient, la conférence de presse de l’ancien chef d’état-major de l’ANP, tenue à l’académie interarmes de Cherchell, feu Mohamed Lamari, déclarait que « le terrorisme a été vaincu militairement mais que les ingrédients de l’intégrisme sont là, il n’y a qu’à voir la télévision ». Certes, les sources de recrutement ont été découragées depuis, mais non éradiquées. Les idéologies extrémistes sont toujours présentes. Le travail frileux de déradicalisation agit sur les apparences et non sur le fond. On ne devrait pas s’étonner de voir des attentats ici et là, malheureusement. L’Algérie n’est donc pas immunisée.

Le pouvoir n’a pas fait assez d’effort en matière de déradicalisation ?

Le pouvoir n’a effectivement pas fait assez d’efforts en matière de déradicalisation. Aujourd’hui, on parle de la nécessité du retour au référent religieux de nos aïeux. Il s’agit d’une manière frileuse pour dire que l’extrémisme et le wahhabisme ont été importés des pays du Golfe. Personnellement, je pense qu’il faut prendre le taureau par les cornes. On n’a pas eu le courage de travailler correctement, de dénoncer le mal et la racine du mal en vue d’un plan d’action audacieux pour une approche éclairée qui sortirait le peuple de cette « mal-vie » et lui assurerait une stabilité et une intégrité pérennes. Mais une telle audace exige la légitimité populaire du chef d’orchestre.

La déradicalisation était un échec ?

Effectivement, c’est un échec. La déradicalisation ne peut pas tomber du ciel. Il y a un effort pédagogique à faire au niveau de l’école et une question politique de légitimité des pouvoirs sans laquelle rien ne peut être admis. Le mal est profond et on s’en aperçoit lorsqu’on constate la peur ou la complicité active d’une certaine élite avec l’obscurantisme ou avec ce pouvoir qui fait vivre le pays au rythme de la maladie du président de la République au lieu de répondre au peuple.

Le premier attentat de l’année a été revendiqué par Daech. Celui de Tiaret a été également revendiqué par cette organisation. Croyez-vous que Daech soit implanté en Algérie ?

Personnellement, je ne crois plus en ces revendications. Le compte à rebours de Daech avait commencé au mois de janvier 2014, lorsque la communauté internationale, sollicitée par les États-Unis déclara la guerre totale contre ce mouvement en se donnant le droit d’intervenir là où il s’implanterait. Dès lors, quel groupe serait-il tenté de faire allégeance à Daech sachant que ce combat n’a plus de suite, toute liaison n’aurait pas de sens. Quant à l’implantation de Daech en Algérie, je vous rappelle qu’un groupuscule, résidu du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat, NDLR), isolé et harcelé en Kabylie par les forces de sécurité, en quête de soutien, de financement et de publicité décapita un otage français (Hervé Gourdel, alpiniste) et fit allégeance à Daech. Il fut laminé le mois qui suivit son acte barbare et le corps de la victime retrouvé. Depuis, plus rien. Donc Daech n’existe pas et il ne peut pas exister (en Algérie). Je tiens à rappeler par ailleurs que le nom Daech correspond à une géographie précise (État islamique en Irak et au Levant).

L’armée découvre régulièrement des caches d’armes partout à travers le pays dans le cadre d’opérations antiterroristes au moment où les autorités parlent de terrorisme résiduel. Comment expliquez-vous cela ?

Depuis la loi relative à la repentance, suivie de loi sur la réconciliation nationale et même avant, des terroristes se sont rendus aux forces de sécurité. Certains avec armes et bagages, d’autres les mains vides. Ils avaient probablement caché leurs armes dans la nature et l’armée est en train de les découvrir aujourd’hui. Peut-être que des groupes séparatistes chez les pays voisins utilisent le territoire national pour préserver leur réserve d’armes et je n’exclus pas certains nationaux tentés par l’aventure séparatiste ou le retour à la menace armée pour imposer leur choix de société. Enfin, ne sachant plus quels sont ces « groupes terroristes » qui s’activent encore, ni quelles seraient leurs revendications, on est autorisé à penser à de dramatiques manipulations de l’intérieur du pays ou de l’extérieur, ou des deux côtés. Car on ne va pas tuer pour tuer et chercher la mort sans un but derrière la tête, ou un message à faire parvenir, ou une réponse à des agressions, passées ou présentes.

Source : Le Point
Propos recueillis par Amayas Zmirli, à Alger

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