Livre -« Islam Pride » de Hélé Béji : Par-delà le voile et la religion

Livre -« Islam Pride » de Hélé Béji : Par-delà le voile et la religion
L’ouvrage s’ouvre sur des images de la femme des années 1960, celle dont le leader Bourguiba, dans sa volonté de mettre un terme à la colonisation et, partant, à l’asservissement de la Tunisienne, venait d’ôter le sefsari, pour en arriver, quelque 40 ans plus stard, à d’autres images pour le moins surprenantes, celles de ces jeunes filles et femmes d’un certain âge portant, pas même le sefsari d’antan (ce qui aurait été considéré comme un retour –inexplicable, du reste– aux origines), mais un accoutrement importé d’ailleurs. Et l’auteure de s’interroger: «Comment en sont-elles arrivées là? (…) A-t-on vu des Noirs redemander le fouet des Blancs? A-t-on vu des colonisés rappeler le retour des colons? A-t-on vu prisonnier libéré repasser à reculons la porte ouverte de son ancienne prison? (…) Des femmes nées sous le ciel de la liberté, pour des motifs inconnus, redescendre la vallée des ténèbres?». Que faudrait-il en penser? Que le combat de Bourguiba pour la femme tunisienne a été vain? Peut-être. Mais une chose semble certaine, nous prévient l’auteure: «Une révolution qui échoue ne retrouve plus jamais sa force originelle».

Que veut le voile?

Selon l’auteure: «A notre époque, on s’agite beaucoup pour être remarqué. On s’invente des signes voyants qui sont aussi des gestes de ralliement. Il y en a plein. C’est la bure du Dalaï Lama, la croix de la chanteuse Madonna, la coiffure punk, le maquillage gothique, les tatouages baroques, les badges antisida, la rose des socialistes, le turban Sikh, etc. (…) Les marques de la haute couture s’interpellent les unes les autres par-dessus les frontières avec ce credo: "Nous appartenons à la même tribu, celle du luxe, de la beauté et de l’argent’’. Alors, le voile dit: ‘‘Nous sommes les déshéritées de la terre, et nous portons fièrement l’humble étoffe de notre pauvreté’’». En d’autres termes, ce que semble vouloir dire le voile, c’est ‘‘sortir de la norme par tous les moyens (… pourvu qu’on nous remarque, pourvu qu’on se distingue’’ (…) ‘‘Se dissimuler complètement (burqa) pour être vue absolument (…) La nudité est devenue banale, mais le voile intégral, c’est le scoop original».

Faut-il combattre le voile?

Tout en étant contre le voile (en ceci qu’il fait réapparaître à la surface de la société un esprit rétrograde et asservissant pour la femme, pourtant combattu et vaincu depuis l’aube de l’indépendance), l’auteure se demande s’il est de bon ton de la combattre de nouveau, mais surtout sur quel critère valable: «Légiférer contre la burqa ? L’interdire, elle seule, dans une société ultrapermissive, qui regarde d’un œil blasé tous les débordement? A quel titre poursuivre un tel abus, et pas tel autre ? Quelle instance va en décider? Qui va sanctionner ces jeux voyants dont la société ne sait plous se passer? Qui peut empêcher chacun de s’enticher du fanatisme de soi? Pourquoi l’islam n’y participerait-il pas, lui aussi? (…) Gay Pride, soit. Mais alors, pourquoi pas Islam Pride? (…) Le voile prospère dans le paysage des dérives des droits culturels. La permissivité absolue finit par engendrer des tabous absolus, la liberté absolue entraîne l’esclavage absolu».

Le voile, un appel?

Progressant jusqu’au fond de son raisonnement, l’auteure considère que le voile, contrairement à ce qu’il est censé être (un accoutrement de dissimulation), est plutôt un appel, une provocation de l’indifférence: «Nos contemporains ont pris la fâcheuse habitude de manifester publiquement leur vie privée. Ce n’est pas ‘‘je fais ce que je veux et ça ne regarde personne’’, c’est ‘‘je fais ce que je veux, et je souhaite que ça regarde tout le monde, je veux convoquer le regard du monde entier sur moi (…) le for intérieur est jeté en pâture à la consommation publique. Le voile n’est plus le signe de la pudeur, mais l’insigne ultravoyant, l’impudique de la pudeur". Et s’il a l’air de dire comme les féministes ‘‘je ne veux pas être un objet sexuel’’, il rappelle fortement que la femme, en réalité, est un objet sexuel. L’exhibition de sa croyance fonctionne comme l’exhibition de ses pratiques sexuelles, le besoin de montrer ses goûts intimes à la télévision».

Le voile, un piège?

Et si, loin de servir l’homme bigot et très respectueux de sa religiosité, le voile n’était rien d’autre qu’un insulte pour l’homme? «Ces nouvelles prudes de la modernité réduisent à néant les efforts de celles qui ont osé braver leur entourage en montrant que ces artifices ne sont pas les meilleurs garants d’une morale impeccable. Comment ne pas être horriblement vexée de voir les nouvelles générations céder à l’intimidation; de voir que les hommes sont suffisamment sots pour se satisfaire de ces vertus postiches? (…) L’interdit religieux qui couvrait la chasteté des femmes contre ce que le langage biblique appelle ‘‘fornication’’ n’a jamais empêché la mise au monde d’une multitude de bâtards. Dans le monde musulman, cette hypocrisie est aidée par la chirurgie qui rapièce la membrane d’un hymen décousu, redevenu chaste le jour des noces» (…) Mais vous, hommes musulmans, comment acceptez-vous que vos femmes, vos sœurs, vos filles, vos mères vous abaissent ainsi, faisant de vous des propriétaires d’âmes, des possesseurs de corps, lâches comparses se suffisant d’un grossier stratagème? Comment acceptez-vous à vos côtés des compagnes qui se passent le mot d’un simulacre d’honneur, et n’avez-vous cure d’être le dindon de la farce?».

Discours autrement pamphlétaire mais riche en informations et en analyses objectives, cet ouvrage met complètement à nu le…voile dont il détricote toutes les coutures personnelles, familiales et sociales. Un instrument majeur nécessaire à la compréhension de notre temps fait de contradictions et de paradoxes.

(webmanagercenter)

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