Libye : la mort étrange d’un chef rebelle

Le meurtre d’Abdel Fatah Younès, numéro 2 de Kadhafi rallié aux insurgés, pourrait déstabiliser l’opposition armée.

Tout demeure trouble dans l’assassinat du général Abdel Fatah Younès, ex-compagnon d’armes de la première heure et ministre de l’Intérieur de Kadhafi, rallié dès février à la rébellion pour en devenir le chef militaire. Les autorités de Benghazi, la capitale des insurgés, assurent que le chef du commando des tueurs aurait été arrêté, mais on ne sait toujours rien ni de son identité ni, surtout, de ses motivations. Une seule chose pour le moment est certaine : la mort de celui qui dirigeait, quasiment depuis la révolte en Cyrénaïque, les forces insurgées, fragilise un Conseil national de transition (CNT) désormais reconnu comme seul gouvernement légitime par un nombre croissant de pays.

Qu’il ait été tué dans un règlement de compte ou abattu, comme l’assure la version officielle, par des sicaires du Guide à même d’agir impunément dans la zone contrôlée par les rebelles, le signal est tout aussi préoccupant.

Tortures. «Je vous demande de ne pas prêter attention aux rumeurs que les forces de Kadhafi essaient de propager dans nos rangs», affirmait jeudi soir, en annonçant l’assassinat, Moustapha Abdeljelil, président du CNT, lui-même ancien ministre de la Justice du régime. Selon les autorités, le général Younès avait été rappelé de son quartier général près du front de Brega pour être interrogé par une commission d’enquête à Benghazi à propos de ses échecs militaires. Il aurait été enlevé sur la route par des hommes armés. «Nous avons récupéré le corps qui était criblé de balles et brûlé», a affirmé, vendredi à Reuters, Addul Hakim, neveu du général tué avec deux colonels qui l’accompagnaient. Les assassins auraient-ils voulu ainsi dissimuler des traces de tortures ? La rumeur d’un éventuel double jeu deYounès est récurrente dans le camp rebelle où beaucoup n’ont pas oublié ses liens étroits avec Muammar al-Kadhafi avec qui il mena le coup d’Etat militaire de 1969.

Vengeance. Véritable numéro 2 du régime, le général Younès fut longtemps le patron des forces spéciales avant de devenir ministre de l’Intérieur. D’où l’hypothèse d’une vengeance, car il avait notamment mené la sanglante répression contre la révolte islamiste de 1996 en Cyrénaïque, qui fit plus d’une dizaine de milliers de morts. En annonçant la mort de Younès, le président du CNT, Moustapha Abdeljelil, était accompagné de membres des Obeidi, la tribu de la victime. Pas satisfaits, des militaires de cette même tribu ont tout de même manifester jeudi soir dans la ville de Benghazi.

Impuissantes jusqu’ici à mener des opérations militaires concluantes malgré le soutien de l’Otan, incapables de faire face à la déroute économique et aux défis sécuritaires, les autorités de Benghazi craignent que ne s’enclenchent des vendettas. «Avec cet assassinat, le régime de Kadhafi veut attiser les divisions dans le camp des rebelles», explique à Reuters Shamis Ashour, journaliste libyen basé à Londres. Conscients de l’enjeu, de nombreux membres de la famille de Younès ont ainsi rappelé vendredi au président du CNT «qu’ils sont à ses côtés jusqu’à ce que Dieu donne la victoire».

L’embarras sur cette affaire n’en est pas moins bien réel dans les capitales comme Paris et Londres, les plus engagées aux côtés du CNT. «Nous attendons le résultat de l’enquête. Pas de spéculations», soulignait, vendredi, Bernard Valero, porte-parole du Quai d’Orsay, alors qu’au Foreign Office, Alistair Burt, chargé du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, saluait la déclaration du CNT «de mener une enquête complète sur la mort» de Younès. Le général avait du charisme et une réelle expérience des choses militaires. Sa disparition risque bien de désorganiser encore plus l’armée des rebelles toujours aussi peu performante malgré l’aide de conseillers militaires occidentaux.

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