Libye : l’irrésistible avancée de Daech inquiète les armées françaises

Alors que Daech grignote la Libye, le chef d’état-major Pierre de Villiers affirme que les armées françaises sont « au taquet ». Off, les langues se délient.

Devant les membres de l’Association des journalistes de défense (AJD), le chef d’état-major des armées, le général Pierre de Villiers, a estimé vendredi que « nous sommes au taquet de nos contrats opérationnels », ajoutant que, si le politique décide de lancer une nouvelle guerre, « on peut (soit) se désengager quelque part, (soit) augmenter le budget pour avoir plus de moyens, ce qui nécessite du temps ».

Ces propos sont à rapprocher de la perspective d’une nouvelle intervention militaire, cette fois contre l’organisation État islamique (Daech), en Libye. Si elle se dessine à moyen terme, les conditions d’une telle action ne sont toutefois pas réunies, loin s’en faut.

Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, souligne la réalité de la menace libyenne depuis septembre 2014. Pour se tenir informée par ses propres moyens, la France conduit régulièrement depuis plusieurs semaines des missions aériennes ISR (Intelligence, Surveillance & Reconnaissance) au-dessus du territoire contrôlé par le groupe terroriste. Plusieurs évolutions récentes inquiètent particulièrement les militaires français. Tout d’abord, les attaques de Daech contre les terminaux pétroliers de Ras Lanouf et d’Es Sider, à l’est de Syrte, et sa progression vers l’est, qui lui permettrait d’occuper un important champ pétrolifère. Mais la situation dans la ville de Hun, à 400 km au sud de Misrata, commence à donner des cauchemars aux services de renseignement. Ils y ont repéré des camps d’entraînement où Daech forme des combattants au profit d’autres groupes, comme Boko Haram ou Al-Mourabitoun. De plus, de nombreux Français seraient actuellement en train de rejoindre la Libye, via la Tunisie.

« Que fait-on ? Rien… »

Les Libyens se révèlent pour leur part incapables de constituer un gouvernement d’union. Aucune conscience nationale n’émerge. La communauté internationale regarde de loin. Et la situation a beau se dégrader chaque jour davantage de l’autre côté de la Méditerranée, les moyens d’action des Occidentaux sont très limités. « Que fait-on ? Rien… » observe un homme très au fait du dossier, persuadé que la France « attendra un gros attentat bien crado, organisé depuis la Libye », avant d’agir. Et de poursuivre : « Il serait difficile de faire du Sarkozy, c’est-à-dire de taper dans le tas sans se préoccuper de la suite ! »

D’ailleurs, quelles seraient les possibilités d’intervention ? À ce stade, force est de constater que personne n’en sait rien et que les volontaires ne se pressent pas au guichet. Les Italiens se sont dits disposés à déployer 5 000 hommes, mais ce ne sont que des mots ! Les Américains ont quelques forces spéciales sur le terrain, mais juste pour s’informer. Les Algériens ne veulent pas entendre parler d’intervention étrangère. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi ne tient plus le discours guerrier qui était le sien voici quelques mois. Quant aux Qataris et aux Émiratis, grands alliés et clients de la France, ils jouent en Libye leur propre jeu, par l’intermédiaire de divers groupes locaux. Mais encore ? L’analyse est très simple et tient en un seul mot : impasse.

Rupture stratégique

Très résiliente en Syrie et en Irak, l’organisation État islamique s’incruste en Libye. À Syrte, ses trois chefs sont un Pakistanais, un Yéménite et un Syrien. Pierre de Villers observe que les données géopolitiques et stratégiques sont chamboulées par l’émergence de cette menace terroriste transnationale : « Nous voyons se dessiner sous nos yeux une rupture stratégique, la fin de l’ordre dit westphalien, c’est-à-dire la fin de la sécurité des sociétés à l’intérieur des frontières étatiques. La dégradation sécuritaire s’inscrit dans la durée et l’irruption du terrorisme domestique est un bouleversement systémique pour notre société. » À ses yeux, ces évolutions impliquent que la France devra augmenter ses dépenses militaires, pour les faire passer à 2 % du PIB, contre 1,7 % actuellement (Calcul selon les normes Otan). Et, bien que chacun sache que les 10 000 hommes de l’opération Sentinelle ne seront d’aucune utilité pour empêcher un nouvel attentat, le chef d’état-major des armées met ses troupes au service de la sécurité à l’intérieur des frontières : « Les forces armées ont vocation à agir en complémentarité des forces de sécurité intérieure, et donc sous la responsabilité, bien sûr, du ministère de l’Intérieur. Face à des groupes terroristes qui utilisent des modes d’action guerriers, nous mettons à disposition nos capacités militaires en termes de planification, d’autonomie, de réactivité au service de la sécurité des Français. » Sans doute. Mais les armées ne sont pas en mesure, à conditions égales à celles d’aujourd’hui, d’entamer une autre guerre.

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