Les juges aussi en savaient long sur Cahuzac

Un banquier lié à l’UMP serait «une pièce du puzzle» de la fraude suisse, selon les enquêteurs.
PAR VIOLETTE LAZARD ET PATRICIA TOURANCHEAU

Il aura fallu à peine deux mois à la justice pour boucler l’affaire Cahuzac. Les aveux de l’ancien ministre du Budget, lors de sa mise en examen le 2 avril, sont simplement venus confirmer ce que les juges savaient déjà. Dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte pour blanchiment de fraude fiscale le 8 janvier au parquet de Paris, les enquêteurs de la Division nationale d’investigations financières et fiscales (Dniff) ont d’abord mené une dizaine d’auditions. Certains de ces témoignages leur ont permis de lancer une demande d’entraide à la Suisse pour une série de perquisitions bancaires très ciblées. Mais quels ont été les témoignages déterminants ? Qui a parlé ? Retour sur cette enquête où subsistent certaines zones d’ombre, qui permettent aux thèses les plus variées – intervention d’agents du Renseignement, fuite provenant de l’armée…- de s’épanouir.

Après avoir entendu les acteurs les plus «médiatiques» de l’affaire – Michel Gonelle, l’ex-maire de Villeneuve-sur-Lot auteur de l’enregistrement révélé par Mediapart, l’ancien agent du fisc Rémy Garnier… – les enquêteurs de la Dniff se rendent à Annecy. Le 13 février, ils y auditionnent comme témoin, dans la plus grande discrétion, un banquier français installé à Genève. D’après nos informations, ce témoin-clé n’est autre que Pierre Condamin-Gerbier, ancien associé-gérant de la banque Reyl & Cie à Genève, où Cahuzac a transféré son compte fin 2000. Ce banquier est également l’ancien président de la fédération UMP à Genève. A-t-il fourni aux enquêteurs des éléments déterminants pour leur permettre de localiser les avoirs de Jérôme Cahuzac ? Est-il une pièce maîtresse de l’enquête ? «Il n’a rien donné de précis sur le compte de Cahuzac et n’a jamais fait mystère de son appartenance à l’UMP, tempère une source judiciaire. Il est une pièce importante du puzzle, notamment sur le mécanisme de la fraude fiscale en Suisse, mais nous avions déjà des billes sur Reyl & Cie. Sans cette audition, on aurait probablement trouvé le compte de l’ancien ministre.»

Détectives. Contacté à plusieurs reprises, celui qui a aujourd’hui quitté ses responsabilités au sein de l’UMP et qui a créé son propre family office (une société de gestion de patrimoine) n’a pas donné suite à nos appels. Il a expliqué à la presse suisse n’avoir jamais eu connaissance du compte de Cahuzac. Familier du banquier Hervé Dreyfus, gestionnaire de fortune supposé de Jérôme Cahuzac, Pierre Condamin-Gerbier a également été prié par les enquêteurs d’écouter l’enregistrement révélé par Mediapart. «Il a reconnu formellement la voix de l’interlocuteur de Jérôme Cahuzac comme étant celle d’Hervé Dreyfus», explique une source proche du dossier. Dans le cadre de l’enquête, ils ont perquisitionné chez Hervé Dreyfus mais ne l’ont pas encore auditionné. «C’est l’un des acteurs-clés du dossier, confie une source judiciaire. On préfère en savoir un peu plus sur lui et ses activités avant de l’entendre.»

D’où vient la piste des laboratoires pharmaceutiques pour lesquels travaillait notamment Jérôme Cahuzac ? Le 19 mars, l’information judiciaire (confiée à deux juges d’instruction) est ouverte pour blanchiment de fraude fiscale, tout comme l’enquête préliminaire (menée sous la houlette du procureur de Paris). Surprise : les juges sont également saisis du chef de «perception par un membre d’une profession médicale d’avantages procurés par une entreprise dont les services ou les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale, blanchiment et recel de ce délit». En clair, ils vont pouvoir enquêter sur de possibles versements d’argent des labos à Jérôme Cahuzac. «L’un des témoins entendus par les enquêteurs a affirmé qu’il lui avait été rapporté que les sommes versées sur ce supposé compte proviendraient de laboratoires pharmaceutiques», a expliqué le procureur de Paris dans un communiqué, pour justifier de ce nouveau champ d’investigations.

Cassette. D’après nos informations, c’est l’un des deux détectives privés engagés par Patricia Cahuzac dans le cadre de son divorce houleux qui a évoqué ces versements. Contactés par Libération, les deux privés, l’un installé à Paris, l’autre à Toulouse, se renvoient la balle. «Leur parole a en tout cas été jugée crédible, ils ont donné des pistes aux enquêteurs», explique une source judiciaire. Patricia Cahuzac, elle, a simplement déclaré aux policiers que son mari «rencontrait des personnes des laboratoires pharmaceutiques», sans livrer aucun détail.

Dans ce dossier l’enregistrement révélé par Mediapart et remis par Michel Gonelle aux policiers le 16 janvier, point de départ de l’enquête, reste une pièce maîtresse. Le procureur de la République de Paris François Molins et la Dniff ont rapidement compris que si le laboratoire d’analyse et de traitement du signal (LATS) «réussissait à faire parler cette cassette» et à identifier la voix de Jérôme Cahuzac, il s’agira «d’un indice majeur» de nature à confondre le ministre du Budget. D’autant plus que cet enregistrement paraît «inattaquable au plan judiciaire». Contrairement au majordome des Bettencourt et ses écoutes sauvages, Michel Gonelle, rival politique de Jérôme Cahuzac, n’a piégé personne. Le 18 mars, les analyses estimaient à 66 % les chances que la voix soit celle de Jérôme Cahuzac. Le lendemain, le ministre démissionnait.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite