Les députés français se déchirent autour d’une réforme de la Constitution

Les députés français ont étalé vendredi leurs divisions sur un projet de réforme de la Constitution engagé après les attentats de Paris, qui a déjà suscité la démission d’une ministre et des critiques internationales.

Trois jours après les attaques jihadistes du 13 novembre (130 morts et plusieurs centaines de blessés), le président François Hollande avait annoncé son intention d’inscrire dans la Constitution le régime de l’état d’urgence et la déchéance de la nationalité pour tous les binationaux auteurs de crimes terroristes.

Le virage sécuritaire du chef de l’Etat socialiste lui avait alors valu des applaudissements nourris des parlementaires de tous bords et un large soutien dans l’opinion publique.

Trois mois plus tard, finie l’ambiance d’unité nationale: les députés, qui entamaient l’examen du texte avant un vote mercredi, n’ont pas mâché leurs mots contre une réforme dont l’adoption définitive paraît de plus en plus incertaine.

Les communistes ont fustigé un "bricolage de la Constitution". Les écologistes ont accusé la gauche de "jeter ses valeurs aux oubliettes". Et l’opposition de droite a déploré "la confusion la plus totale" autour du texte.

Auparavant, le Premier ministre Manuel Valls les avait exhortés depuis la tribune à faire preuve "d’une unité sans faille" face au terrorisme. Sur la même note, le chef de file des députés socialistes, Bruno Le Roux, a appelé ses troupes à prendre leurs "responsabilités".

Le débat, à haut risque pour un président en rechute dans les sondages, est éminemment symbolique : l’état d’urgence existe depuis une loi de 1955 (votée en pleine guerre d’Algérie) et il s’agit principalement de lui donner un cadre constitutionnel.

Mais ses détracteurs jugent la mesure au mieux inutile, au pire dangereuse pour les libertés publiques. Mercredi, ils ont reçu le soutien du Conseil de l’Europe, pour lequel ce régime a donné lieu à des "abus de la part de la police" et contribue "à renforcer la stigmatisation des musulmans".

L’inscrire dans la Constitution, c’est "graver dans le marbre" son "caractère exceptionnel", a rétorqué Manuel Valls. Pour lui, l’état d’urgence, qui autorise les assignations à résidence, les perquisitions ou l’interdiction des rassemblements sans intervention d’un juge judiciaire, est "indispensable pour la sécurité" des Français.

"indésirables"

C’est toutefois sur la déchéance de la nationalité que les crispations sont les plus fortes.

Là encore, le texte est avant tout symbolique: il est déjà possible de retirer la nationalité française à des personnes l’ayant acquise depuis moins de 15 ans et qui ont été condamnées pour terrorisme. Le projet vise à l’étendre aux binationaux nés en France, ce qui ne devrait pas concerner un grand nombre de personnes.

Mais "ça pose un problème de fond sur un principe fondamental qui est le droit du sol", avait estimé dès décembre Chistiane Taubira, alors ministre de la Justice. Elle a depuis démissionné et résumé ses arguments dans un livre surprise : "Que serait le monde si chaque pays expulsait ses nationaux de naissance considérés comme indésirables ?"

Pour tenter d’apaiser sa majorité, le gouvernement a proposé une nouvelle version du texte sans référence aux binationaux, et qui renvoie la faculté de prononcer une déchéance au juge. Mais, le droit international interdisant de créer des apatrides, de nombreux députés de gauche restent insoumis.

Pour compenser avec des voix de la droite, le gouvernement a accepté de modifier son projet de réforme en incluant une de ses propositions: la déchéance pourra s’appliquer aux personnes condamnées pour des délits terroristes – et pas seulement des crimes – passibles d’au moins dix ans de prison.

Malgré tout, la moitié des voix de la droite pourraient manquer, selon un de ses députés, en raison de désaccords de principe et aussi d’arrière-pensées politiques avant une primaire chargée de départager le candidat de l’opposition à la présidentielle de 2017.

En fin de compte, l’adoption du texte sera difficile, d’autant que modifier la Constitution implique que le texte soit adopté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat, avant un vote à la majorité des trois cinquièmes des deux chambres réunies.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite