Le naufrage islamiste

Les faits sont là, probants, indéniables, mais rien n’y fait. Souvent défendue, encore plus souvent acceptée comme évidente, l’idée qu’un «hiver islamiste» aurait succédé au «printemps arabe» s’est enracinée dans les esprits alors même que tout vient démentir cette totale et pernicieuse stupidité.

Prenons la Tunisie. «Tout est fichu. Ils ne rendront pas le pouvoir avant des décennies», disaient bien des Tunisiens et encore plus d’Occidentaux après que les élections législatives eurent fait d’Ennahda le premier parti de ce pays. Cette crainte était forte. C’est là que la théorie de l’hiver a commencé à se répandre mais, deux ans plus tard, où en est Ennahda, «renaissance» en français ? Alors même que ce parti détient une majorité parlementaire grâce à l’appui des deux formations laïques avec lesquelles il s’est allié, les islamistes ne sont jamais parvenus à faire entrer dans le projet de Constitution le moindre article d’inspiration religieuse. Malgré leurs divisions, les laïques de gauche et de droite ont toujours su les en empêcher car, femmes en tête, une société civile s’est organisée et affirmée dans une mobilisation permanente et des manifestations de masse. Ennahda s’est trouvé confronté à une opposition dont les rangs n’ont cessé de s’élargir et, plus déstabilisant encore pour les islamistes, leurs propres partisans se sont détournés d’eux en nombre toujours plus grand. Mois après mois, la base d’Ennahda s’est inexorablement réduite car les petits fonctionnaires et petits commerçants qui avaient fait son succès ont vu le désordre s’installer, les jihadistes prospérer et les chiffres d’affaires péricliter.

Dos au mur, Ennahda vient donc d’accepter, samedi, l’ouverture d’une table ronde avec l’opposition à l’issue de laquelle les islamistes devraient céder la place à un gouvernement de technocrates chargé de préparer de nouvelles élections.

Ces négociations peuvent échouer mais, fondamentalement, les islamistes tunisiens ont perdu pied et préfèrent se réfugier dans l’opposition que continuer à s’essouffler au pouvoir.

En fait d’hiver, il pourrait être plus froid mais prenons maintenant l’Egypte. «Ce sera bientôt l’Iran, théocratie et voile obligatoire», disaient les prophètes de malheur après que les Frères musulmans eurent remporté les élections législatives puis présidentielle.

Ils en étaient convaincus car, à leurs yeux, les musulmans, tous les musulmans sauf les dictateurs, seraient naturellement intolérants, fanatiques et obsédés par une volonté d’asservir la femme.

Ils en étaient persuadés car ils pensent que seules des dictatures peuvent parer ce danger mondial que serait l’islam, mais que s’est-il passé en Egypte ?

Pas plus qu’en Tunisie, les Frères n’ont su gérer un pays en grandes difficultés économiques. Ils n’ont pas fait reculer mais augmenter le chômage, pas élevé mais encore abaissé le niveau de vie des plus pauvres. Ils ont eux-mêmes prouvé que pas plus qu’aucune autre religion, l’islam n’apportait en lui-même de solutions aux défis socio-économiques. Les Frères ont tant déçu leurs électeurs et si peu désarmé leurs adversaires qu’ils ont dû faire face à un rejet populaire aussi massif que profond, tellement fort et général que l’armée a pu surfer sur cette vague de mécontentement pour destituer le président élu, revenir sur le devant de la scène politique et tenter aujourd’hui de reprendre le pouvoir. Cela n’a rien de réjouissant. Ce coup d’Etat – car c’en est un – donne aux Frères une possibilité de se refaire dans l’opposition alors qu’ils se seraient complètement marginalisés en restant aux affaires mais où est «l’hiver islamiste» ? Si hiver il y a au Caire, c’est bien plutôt celui des Frères qui, désormais en butte à une féroce répression, vont fatalement se diviser entre avocats d’un véritable aggiornamento démocratique et défenseurs de l’orthodoxie originelle. Bien loin de triompher, les islamistes égyptiens traversent maintenant l’une des plus mauvaises passes de leur histoire car ils n’avaient pas compris que leur pays, comme tous les pays arabes, aspirait au bien-être et à la démocratie, pas à l’affirmation d’une identité religieuse, et que les voix qui s’étaient portées sur eux allaient à leur conservatisme économique et social, pas à la confusion entre la politique et la foi et encore moins au jihad.

«Oui, mais la Syrie ?» dira-t-on. C’est vrai. Les islamistes et, surtout, des jihadistes y ont étoffé leurs rangs en profitant de l’absence de soutien occidental aux laïques mais, outre qu’ils n’y sont guère populaires, ils s’y useraient à l’exercice du pouvoir aussi vite qu’au Caire et à Tunis. Rien, n’est plus dommageable à l’islamisme que la démocratie. C’est un fait que brouillent les chaos actuels et la persistance du terrorisme mais les démocrates devraient enfin se résoudre à voir la réalité plutôt que de regretter des dictatures dont le temps est, de toute manière, révolu.

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