Le jour où Paris a voulu renouer avec Damas

Les interférences entre les impératifs de la lutte antiterroriste et les engagements diplomatiques de la France confinent parfois à la schizophrénie. Alors que l’Elysée et le Quai d’Orsay continuent de proclamer qu’il n’est pas question de coopérer avec Bachar Al-Assad, le dictateur syrien ayant causé près de 200 000 morts et perdu  » toute légitimité « , les services de police et du renseignement intérieur aimeraient relancer la coopération avec leurs homologues syriens.

Pressée d’éviter que des djihadistes français partis en Syrie ne reviennent sur le sol national commettre des attentats, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a tenté, à la fin du premier trimestre 2014, selon les informations du Monde, de rétablir un lien direct avec les services de renseignement syriens afin d’obtenir des informations permettant d’anticiper les éventuelles menaces.

Le régime de Bachar Al-Assad a répondu à ce souhait en indiquant qu’il était prêt à coopérer dès lors que la France déciderait de rouvrir son ambassade en Syrie, fermée depuis le 6 mars 2012. Cette éventualité a été rejetée par François Hollande, qui reste très engagé contre le régime de Damas tout en ayant rejoint la coalition internationale contre l’" Etat islamique " (EI), la principale force djihadiste en Syrie, opposée tant à l’Occcident qu’à Bachar Al-Assad.
Maillon manquant

Si la DGSI dispose de moyens techniques et humains importants pour surveiller sur le sol français les candidats au djihad syrien et leurs communications, il lui manque, en revanche, un maillon précieux : celui de leurs activités et de leurs mouvements en Syrie. La rupture brutale des contacts entre Paris et Damas a asséché la source syrienne d’information et prive, depuis deux ans et demi, la DGSI d’éléments jugés importants.

D’autres pays occidentaux, comme l’Allemagne, par exemple, ont poursuivi leurs relations avec les autorités syriennes, et notamment leurs services de renseignement. Berlin a, de la même manière, maintenu le contact avec le Hezbollah et l’Iran. La DGSI a dû, dans certains cas, passer par son partenaire allemand pour obtenir, indirectement, des informations sur des Français au cœur d’enquêtes en cours. Mais cette procédure indirecte constitue un frein à l’efficacité du travail de la DGSI.

Aussi, alors que le flux de départs djihadistes atteignait déjà des niveaux jugés très inquiétants par les autorités françaises, et plusieurs semaines avant que Mehdi Nemmouche ne soit arrêté, fin mai, à Marseille, les services de renseignement français se sont rendus à Damas. La délégation comprenait notamment l’officier de liaison de la DGSI à Amman, en Jordanie, où ont été réaffectés les fonctionnaires précédemment en poste à Damas, et son collègue de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Selon une source issue du renseignement français, " l’objectif était de renouer le dialogue, car le besoin de renseignement opérationnel est réel et pouvait au moins se faire sous forme d’échanges ".

Mais le régime de Damas a conditionné son aide, toujours selon la même source, à un signe de reconnaissance de la France et " à l’arrêt des critiques publiques à son encontre du chef de l’Etat, François Hollande, et du ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius ". Des exigences inacceptables pour Paris.

Ali Mamlouk, conseiller spécial pour la sécurité du président syrien, Bachar Al-Assad, et chef de la sécurité nationale, inspirerait largement cette ligne. Au cours des mois qui ont suivi la visite des représentants de la DGSI et de la DGSE à Damas, d’autres canaux ont été activés par Damas pour promouvoir, en France, l’idée d’une réouverture de l’ambassade française contre une coopération antidjihadistes.

Des intermédiaires classiques, tels que certains parlementaires, membres d’associations d’amitié franco-syrienne, ont été sollicités ainsi que d’anciens hauts responsables du renseignement français.

Parmi eux, l’ancien patron de la DGSI (alors appelée Direction de la surveillance du territoire, puis Direction centrale du renseignement intérieur, de 2007 à 2012) Bernard Squarcini a confirmé au Monde avoir été approché pour tenter de faciliter la coopération entre Paris et Damas sur le terrain du renseignement. Il s’est refusé à fournir tout détail sur les autorités syriennes qui l’avaient sollicité ou sur les personnes à qui il a transmis le message. Il a seulement indiqué qu’il entendait " laisser les services faire leur travail ".

Un Français, négociant international de pétrole, Xavier Houzel, qui fut pendant plus de trente ans le plus gros acheteur de pétrole syrien, a également confirmé, au Monde, avoir été destinataire d’un message similaire de la part de proches de la présidence syrienne. " La position de Damas est claire, ils disent : nous sommes un gouvernement légitime et souverain, nous ne sommes pas des clandestins, ouvrez votre ambassade et nous sommes ouverts à tout, même discrètement. "
" Aucun projet de réouverture "

Au sommet de l’Etat français, la manœuvre syrienne pour rompre son isolement international en monnayant l’aide dans la lutte contre le terrorisme a été moyennement appréciée. La DGSE, qui n’était pas en pointe dans la délégation partie à Damas, conserve une réserve inhérente à sa position au sein du monde du secret. A la différence de la DGSI, qui joue un rôle de défense du territoire, la DGSE est un service " offensif ".

Interrogée sur la démarche conjointe menée, au printemps, auprès de Damas avec la DGSI, la DGSE a assuré au Monde qu’elle " n’envisage aucune reprise de contact avec les services syriens ".

Le principal intéressé, le ministère de l’intérieur, qui a autorité sur la DGSI, a choisi, pour sa part, de caler sa réaction officielle sur celle de la présidence de la République. " Nous n’avons pas de contact avec les services syriens ", s’est borné à répondre son porte-parole, sans démentir la tentative de reprise de contact lancée par le poste de la DGSI à Amman.

Enfin, le Quai d’Orsay, le plus rétif à ce type de contact, même si formellement Paris n’a pas rompu ses relations diplomatiques avec Damas, a précisé qu’" il n’y a aucun projet de réouverture de l’ambassade de France à Damas " avant d’ajouter : " Nous rappelons que nous soutenons l’opposition modérée en Syrie qui se bat sur deux fronts, contre la barbarie de Daech – l’acronyme arabe de l’Etat islamique – et contre le régime de M. Bachar Al-Assad, qui en est à l’origine. "

Jacques Follorou

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite