Le grand tournant de Macron sur la Syrie

Était-ce à la nouveauté du personnage fraîchement élu, à l’enthousiasmant élan qu’il suscita dans l’opinion qu’on doit cette tentation de tout comprendre, de tout pardonner quant au tournant qu’Emmanuel Macron avait pris sur la crise syrienne? Le président français ne provoqua que quelques froncements de sourcils et autres légers haussements d’épaules lorsque au détour d’une interview censée l’installer sur l’arène mondiale, il renverse les priorités française sur la Syrie.

Par Mustapha Tossa

Emmanuel Macron formule ce nouveau positionnement avec une rare clarté et des mots qui sont destinés à frapper les esprits : « Il y a la Syrie. Sur ce sujet, ma conviction profonde, c’est qu’il faut une feuille de route diplomatique et politique. On ne réglera pas la question uniquement avec un dispositif militaire. C’est l’erreur que nous avons collectivement commise. Le vrai aggiornamento que j’ai fait à ce sujet, c’est que je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar el-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime »

Aujourd’hui, Emmanuel Macron ne considère plus le départ du président Bachar El Assad du pouvoir comme une condition sine qua non à toute négociation politique sérieuse sur l’avenir de la Syrie comme cela était le dogme indiscutable de la diplomatie de Francois Hollande. Il ne lui voit selon ses propres expressions aucun successeur légitime. Ses priorités à lui sont au nombre de deux: lutter contre les groupes terroristes et éviter de détruire les structures de l’Etat syrien. Emmanuel Macron se dit échaudé par deux tristes précédents. l’exemple irakien qui a vu les américains casser l’Etat irakien et donner naissance aux forces obscures de l’Etat islamique. Et l’exemple libyen qui a vu la communauté internationale sous impulsion française démanteler le régime de Mouamar Kadhafi au point de transformer le territoire libyen en un havre de paix et refuge accueillant pour toutes les organisations terroristes.

Pour expliquer ce tournant Emmanuel Macron lui donne un cadre stratégique et un argumentaire politique qui ne laissera personne indifférent. Il met en avant les lignes conductrices de sa vision de ce conflit : « la stabilité de la Syrie, car je ne veux pas d’un Etat failli. Avec moi, ce sera la fin d’une forme de néoconservatisme importée en France depuis dix ans. La démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples. La France n’a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison. Et elle a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. Quel fut le résultat de ces interventions ? Des Etats faillis dans lesquels prospèrent les groupes terroristes. Je ne veux pas de cela en Syrie ».

Ce changement de vision et de cap d’Emmanuel Macron sur la Syrie est d’autant plus visible que le candidat Macron s’est bien gardé de le dévoiler pendant la campagne électorale. À cette époque, seuls Francois Fillon candidat des Republicains et Marine Le Pen du Front National osaient souligner ouvertement la nécessité de ne pas faire chuter Bachar El Assad pour ne pas aider la mouvance terroriste à prendre le pouvoir à Damas. Le candidat Macron se trouvait bien entre les clous tracés par la diplomatie de Francois Hollande. s’il lui arrivait d’insister avec emphase sur sa determination de lutter contre le terrorisme, il restait fidèle à la charge habituelle de la diplomatie française sur le sort de Bachar El Assad, devenue une marque de fabrique, un rubrique obligatoire de la posture française sur la Syrie.

Le tournant d’Emmanuel Macron sur la Syrie a sans doute pris au contact du président russe Vladimir Poutine lors de leur prestigieux sommet au palais de Versailles. Le sort de Bachar El Assad était le noeud géorgien de la divergence Franco-russe sur la Syrie. Quand Paris militait dans tous les forums internationaux pour sortir le président syrien de la photo, Moscou pesait de tout son poids militaire sur le terrain et diplomatique à l’ONU pour lui maintenir la tête hors du goulot. Avec l’actuel positionnement d’Emmanuel Macron, les deux pays vont entonner la même symphonie. Le président français a tenu toutefois à marquer sa différence sur deux niveaux. Le premier est qu’il donne à la France la capacité d’entreprendre, seule s’il le faut, une action militaire en cas d’usage de l’arme chimique par quelques acteurs que ce soit. Le chimique étant une ligne rouge à ne pas franchir. Le second est de pouvoir faire parvenir des aides humanitaires à travers des couloirs sécurisés.

Si à travers sa nouvelle conception de la crise syrienne, Emmanuel Macron épouse l’air du temps installé par le convergence russo-américain sur la question, il aura quelques difficultés à convaincre des groupes d’opposition syrienne qui ont fait du départ de Bachar El Assad le but à la la fois ultime et immédiat de leurs démarches et de leurs engagements.

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