Le Ramadan en France se vit politiquement discret

Qu’est-ce que cela aurait coûté en termes politiques si le Premier ministre Français Manuel Valls, traditionnellement habitué à communiquer sur son action gouvernementale par des tweets, avait adressé par ce même média ses félicitations aux français musulmans à l’occasion du mois de Ramadan? Est-ce que cela aurait révolutionné la sacro-sainte séparation de l’église et de l’Etat si le ministre de l’Intérieur et des cultes, Bernard Cazeneuve, s’était répandu dans les médias avec la promptitude et l’efficacité qu’on lui connaît d’un mot félicitations et de vœux chaleureux à l’encontre des fidèles de la deuxième religion de France? Qu’aurait perdu le président François Hollande, lui dont l’empathie avec les soucis et préoccupations des autres, feinte ou réelle, est devenue une posture légendaire après avoir été, en d’autres temps électoraux, une seconde nature.

Par Mustapha Tossa

Rien. Et pourtant le silence des politiques à l’occasion du mois du Ramadan a été plus symbolique que leurs paroles absentes. Les réseaux sociaux l’ont beaucoup amplifié en mettant en valeur l’attitude d’autres chefs d’Etat, britannique, américain ou canadien qui ont profité de l’arrivée de ce mois sacré pour les musulmans pour se livrer à un festival, parfois déguisé, de solidarité. Les avocats du silence français se sont précipités de pointer les différences de modèles, celui des anglo-saxons, plus versés dans le communautarisme et la célébration de la différence et celui de la République française atteinte du syndrome de l’égalitarisme forcené et de la distanciation entre la religion et l’Etat. Mais ces explications déchantent vite leurs diffuseurs. Le silence des politiques français sur le Ramadan est voulu, pensé et assumé. Le seul couac qui avait secoué la machine est le faux tweet d’Alain Juppé, vite nié par son auteur qui y a vu plus une blague de hacker qu’une position politique.

Malgré cette abstinence de félicitations dénoncée par certains, le contexte était pourtant favorable pour une approche originale. Le terrorisme d’essence ou d’inspiration "État islamique" qui vient de frapper au coeur de la société française à travers Charlie Hebdo et le Batclan avait traumatisé les esprits et imposait une gestion différente des symboles. L’ensemble de l’appareil de l’Etat, sécuritaire et pédagogique, avait, inscrit son action dans un inédit processus de déradicalisation. Au lieu de cela, la gauche au pouvoir avait joué les indifférents volontaires, les mutiques opportuns pour bien exprimer une humeur, refléter un état d’esprit. Sans doute avait-elle peur qu’on la prenne en flagrant délit d’angélisme à un moment clé où la droite guidée par Nicolas Sarkozy vient de lever l’étendard de l’identité nationale et de ses racines chrétiennes. Dans cette sortie destinée à marquer l’histoire, Nicolas Sarkozy s’est ouvertement pris à cet "islam militant qui se présente à nous comme un bloc et qui impose à ses fidèles des règles de vie contraignantes". Ce qui lui a valu une réponse cinglante du numéro deux du CFCM Abdellah Zékri qui l’a accusé "d’attiser le feu contre les musulmans". Et de poser cette interrogation: " Parce qu’il y aurait 1% de gens qui ne respecteraient pas les lois de la République sur 5 millions de musulmans, il y aurait un risque d’affrontement ?"

Ce silence sur le Ramadan n’est pas que politique. Il est aussi médiatique. Traditionnellement à cette période de l’année, les reportages fleurissent sur les télévisions françaises pour souligner l’originalité de cette pratique et éclairer ses enjeux spirituels, sociaux et surtout économiques. Cette année, il fallait une recherche pointue pour trouver une maigre et presque invisible production télévisuelle sur le Ramadan. Cette absence serait-elle moins le fruit d’un abandon d’une célébration devenue au fil des ans presque un marronnier qu’une décision éditoriale de ne pas évoquer un sujet qui peut, sinon cliver du moins hérisser quelques poils tendus par l’atmosphère islamophobe qui donne le ton de la séquence politique que vit la France aujourd’hui.

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