Le Parlement libyen tente, dans la confusion, de désigner un chef de gouvernement

L’abnégation et le sens du compromis sont deux qualités essentielles à qui prétend au titre de premier ministre libyen. L’homme d’affaires Ahmed Miitig en a fait l’amère expérience, dimanche 4 mai. Quelques heures après un vote de confiance obtenu dans la confusion puis avoir prêté serment devant le Congrès général national (CGN, le Parlement) pour mener le gouvernement de transition, le politicien néophyte a dû engager des négociations avec les forces politiques contestant la légalité de son élection.

Au moment même où le Parti de la justice et de la reconstruction (PJR, l’aile politique des Frères musulmans) lui renouvelait son soutien, le premier vice-président du Parlement a prononcé l’invalidité du scrutin et restitué son titre au premier ministre démissionnaire, Abdallah Al-Theni, jusqu’à un nouveau vote. Dans l’attente d’une déclaration d’Ahmed Miitig, la Libye a désormais deux premiers ministres.

Dans l’après-midi, la victoire était à portée de main pour l’homme d’affaires de 42 ans. Dans l’enceinte du Parlement, ultra-sécurisé, M. Miitig a balayé son rival, l’universitaire Omar Al-Hassi, par 73 voix contre 44 et a vu sa candidature soumise au vote de confiance des députés. A la clôture du vote, le premier vice-président du CGN a annoncé 113 voix pour Miitig, à quelques voix près des 120 requises, sous les huées de ses détracteurs.

" Pressions sur les députés "

" Les députés islamistes ont fait pression pour avoir un vote à main levée et non secret. C’est une façon d’exercer des pressions sur les députés pour les empêcher d’exprimer leur opinion. C’est très dangereux pour la démocratie ", s’est insurgé le chef du Bloc de la libre opinion, Sharif Al-Wafi, dont les 36 membres ont refusé leur confiance à M. Miitig. Dans la plus grande confusion, le deuxième vice-président a laissé ouvert le scrutin aux retardataires, ce qui a permis à M. Miitig de s’assurer, une heure plus tard, la victoire par 121 voix. Un arrangement jugé anticonstitutionnel y compris par certains de ses amis.

Ce " coup de force " électoral imputé aux députés islamistes renforce les soupçons sur leurs liens supposés avec Ahmed Miitig. Près des deux tiers des votes lui ont été accordés par le PJR et par le Bloc Al-Wafa (" Fidélité aux martyrs "), qui compte parmi ses membres des djihadistes du Groupe islamique des combattants libyens. Des liens que réfutent ses amis proches dans les milieux d’affaires de Misrata dont il est originaire. Ahmed Miitig se pose en rassembleur. " Il est temps de rassembler les gens et de rétablir la confiance avec le peuple, a-t-il déclaré au Monde à la veille du scrutin. Il y a de nombreuses choses sur lesquelles les Libyens peuvent s’unir : le développement économique, l’amélioration des infrastructures et la sécurité. "

Sa candidature a également fédéré une partie des indépendants et libéraux qui le voient comme celui capable de redresser les finances publiques et débloquer les sites pétroliers. D’autres louent son rôle pendant le soulèvement libyen, de février à octobre 2011, et ses liens tissés avec les milices de la capitale et de Misrata, pour reprendre en mains la sécurité du pays.

Battues dans les urnes par les libéraux de l’Alliance des forces nationales de Mahmoud Jibril, les forces islamistes ont consolidé leur emprise sur le Parlement et les ministères régaliens, avec l’appui de milices. Après avoir fait voter en mai 2013 l’exclusion politique des responsables de l’ancien régime, elles ont obtenu en mars, sous la pression des groupes armés, une motion de défiance contre leur ennemi juré, l’ancien premier ministre Ali Zeidan. Son successeur par intérim, Abdallah Al-Theni a démissionné au bout de deux semaines, arguant des menaces répétées contre sa famille.

La montée en puissance des forces islamistes renforce la défiance envers le Parlement. " Pour moi, le CGN est caduc depuis la fin de son mandat, le 7 février, conformément à la Constitution transitoire, on aurait dû voter pour un autre Parlement et donc un autre gouvernement. C’est le courant de l’islam politique qui veut faire durer ce Parlement ", estime un homme d’affaires. Les parlementaires se sont engagés à organiser des élections anticipées durant l’été et font miroiter un vote sur la Constitution, actant la fin de la période transitoire. Une échéance qui s’annonce difficile à respecter.

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