Le Cygne d’Asnières et l’Enfant de l’Atlas

« Le Cygne d’Asnières et l’enfant de l’Atlas », pourrait être un merveilleux conte de fin d’année pour enfant, comme ceux qu’affectionnent Charles Perrault, Andersen ou les frères Grimm. Mais, dans ce conte improvisé, il n’y a pas de méchants et de malfaisants. Il y a surtout une leçon de morale que résume un slogan publicitaire connu : « Nous n’avons pas les mêmes valeurs ».

Le Cygne d’Asnières et l’Enfant de l’Atlas
Il était une fois, le jeudi 13 décembre 2012, un cygne tuberculé de la famille Anatidae, qui trainait son plumage blanc et son grand cou, se trouva coincé sur la voie ferrée du côté du pont d’Asnières (Hauts-de-Seine). Sans le vouloir, il provoqua une mobilisation générale.
Sous d’autres cieux, cette aventure « canardesque » serait passée pour incident banal. Qui se serait soucié d’un vilain canard qui se serait permis de bloquer la circulation des trains durant 30 minutes sur une ligne (ligne L) transportant des milliers de voyageurs par jour. Peu importe, la conclusion est heureuse, le cygne a été récupéré par les sapeurs-pompiers et transporté pour être soigné vers le laboratoire d’une école vétérinaire. Il se dit même qu’il devrait « reprendre le cours de sa vie au château de Versailles, au hameau de la Reine ».

A quelques heures de vol d’oiseau d’Asnières, au pied de l’Atlas, dans un petit village (d’aït Tamlil) de la région d’Azilal, un enfant gelé, le ventre vide, est seul dans un coin mal éclairé. Il scrute les cimes de son Atlas natal qui s‘obstine à entretenir la cause de son malheur : le froid et la neige. L’enfant ne quitte pas des yeux la seule piste défoncée et rocailleuse qui mène vers son village, dans l’espoir de voir surgir comme par miracle, des secours. Mais, il n’y a ni rail, ni route goudronnée, ni sapeur pompier pour amener jusqu’à lui soin et réconfort. Comme toujours, l’aide tarde à venir et le calvaire de l’enfant se prolonge.

L’enfant de l’Atlas grelote, pleure et vit dans l’angoisse quand le thermomètre affiche des températures négatives, sibériennes, car c’est à ce moment là que la “mort blanche” commence à planer sur son toit, fréquenter son village et roder dans toute sa région. Il la sait implacable et impitoyable, il a peut-être même entendu parler des dégâts laissés par son passage à Anefgou en janvier 2007, où elle a fauché une trentaine d’habitants, en majorité des nourrissons.
La “mort blanche”, a la manie de prendre ses victimes où bon lui semble, chez eux, sur la route, ou dans la montagne.
A Tounfit, Gouzmou, Emelchile et autres douars de montagne, le froid tue, la faim, l’isolement et l’exclusion aussi : pas d’hôpital, pas d’école, pas d’eau courante, pas d’électricité. Ce qui fait dire à un habitant que « Le transistor représente leur seul fenêtre sur le monde ». 46 villages isolés de tout, un seul dispensaire, deux médecins, le peu d’écoles qui résistent à l’oubli, sont en mauvais état. Pour se soigner, femmes, enfants et vieillards doivent faire, quand ils le peuvent à dos de mulet, des dizaines de kilomètres. Résultat : “Plusieurs femmes sont mortes sur la route en allant accoucher”, le taux d’analphabétisme y « est parmi les plus élevés du Maroc, surtout chez les jeunes filles. Celles-ci sont mariées vers 12, 13, 14 ans ».
L’instituteur de l’enfant gelé et affamé peut souligner l’absence endémique de ses élèves, (sur 52 élèves, 32 absents) mais, préfère avec dignité insister sur l’« isolement mortel » qui frappe sa région. Le père de l’enfant gelé et affamé, les yeux rougis à force de pleurer sur son sort, prie le ciel pour qu’il lui accorde de quoi le chauffer, le nourrir et le vêtir. Il vit dans l’angoisse de le perdre et dans l’attente d’une aide miraculeuse qui sauverait son maigre troupeau de chèvres de la disparition.
Morale de l’histoire. Sur l’échelle des valeurs, l’enfant de l’Atlas vaut moins qu’un cygne d’Asnières.
De ce côté-ci, côté Nord, de la Méditerranée, le cygne, associé à la symbolique de la Saint-Valentin, de l’amour et de l’affection, peut bloquer des trains, mobiliser une caserne de pompiers et se trouver dans un hôpital de soins pour animaux. De l’autre côté de cette maudite méditerranée, qui a englouti dans ses profondes entrailles des centaines de jeunes, de Tadla, d’Azilal, de Beni Mellal et de Khouribga, un enfant peut mourir de froid et dormir le ventre vide.
De ce côté-ci de la Méditerranée, rive Nord, une simple association de défense des droits des animaux, peut faire céder un mastodonte de l’économie française comme la SNCF, l’obliger à couper l’électricité, à arrêter le trafic ferroviaire durant 30 mn, pour organiser le sauvetage «d’un être vivant ». De l’autre côté, peu d’institutions dites de « droits de l’Homme » et peu d’associations « humanitaires » sont aujourd’hui capables de dénoncer cette injustice sociale et cette discrimination régionale, de briser cet « isolement mortel » qui frappe une région entière, qui pénalise des centaines de douars et des milliers de citoyens des plus démunis.
Visiblement, « le cauchemar du petit village d’Anfgou n’a finalement pas servi de leçon ».

Est-ce une histoire de moyens, de priorités ou de valeurs humaines ?

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