La ville de Paris rend hommage à Assia Djebar, l’immortelle

Voilà bientôt un an l’académicienne Assia Djebar s’éteignait. Pourtant elle semble toujours vivante, présente, suspendue à notre mémoire. L’occasion pour moi d’honorer la mémoire de cette femme de lettres, écrivain, professeur, cinéaste qui mit son écriture au service des femmes et de la langue française. C’est le sens de l’hommage que la mairie de Paris, en partenariat avec la Sorbonne nouvelle, et les associations le Cercle des amis d’Assia Djebar et Archives Claude Simon et ses contemporains, ce mercredi 10 février au Petit Palais. Une manifestation aussi riche que le fut son existence, ponctuée de chants, de lectures et de tables rondes permettant d’appréhender les aspects majeurs de son œuvre.

Fille d’instituteur, Assia Djebar est née le 30 juin 1936 à Cherchell ex Césaré, ville côtière d’Algérie, qu’elle aimait tant et dont elle a su si bien sonder l’âme. Et ce 6 juin 2015, Cherchell se réveille endeuillée par la perte d’une de ses enfants les plus talentueuses: Fatma-Zohra Imalayen, plus connue sous le nom d’Assia Djebar. Après des études brillantes dans son pays natal, elle franchit la mer et vit à Paris. Elle entre en khâgne au lycée Fénelon, pour intégrer l’École normale supérieure de jeunes filles de Sèvres l’année suivante. Première femme musulmane à être admise dans cette prestigieuse école, elle est un modèle de réussite républicaine mais surtout un modèle pour celles qui pensent que leur sexe, leur origine sont un handicap, que leur histoire et leur identité sont des obstacles. Pourtant l’histoire, la grande, la rattrape comme en témoigne sa participation à la grève organisée par l’Union générale des Étudiants musulmans algériens qui la fit arrêter ses études par solidarité avec le peuple algérien en lutte. Cela donnera lieu à son premier roman, La Soif, paru en 1957.

La soif justement de dépasser sa condition, d’atteindre ses rêves. La soif d’écrire, de mettre des mots sur des événements qui ont marqué l’histoire tumultueuse de la France et de l’Algérie. Ces livres nombreux témoignent de son amour pour la langue française Les Impatients (1958), les Enfants du nouveau monde (1962), L’amour, la fantasia (1985), La Femme sans sépulture (2002) et tant d’autres. Que dire d’Assia Djebar qui n’aurait été encore écrit?

Romancière, professeur de littérature, académicienne, cinéaste, pressentie souvent pour le prix Nobel de littérature, le fait d’arme qu’elle goutta sans doute le plus fut le prix de la critique internationale à la Biennale de Venise pour son film La nouba des femmes sur le Mont Chenoua en 1979. Ce documentaire, qui secoua la critique et les conservatismes, fit entrer par effraction dans l’inconscient collectif les femmes jusque-là invisibles du Mont Chenoua, debout et fières, comme des portes drapeaux de millions d’Algériennes en qui Assia Djebar reconnut des sœurs de combat.

Pour la défenseuse du peuple algérien, la protectrice des libertés des femmes face à la soumission, la voix dans son oralité est l’outil de la conquête de la liberté. Dans Femmes d’Alger dans leur appartement (1980), un protagoniste dit "Je ne vois pour les femmes arabes qu’un seul moyen de tout débloquer: parler, parler sans cesse d’hier et d’aujourd’hui, parler entre nous, dans les gynécées, les traditionnels et ceux des HLM entre nous et regarder. Regarder dehors, regarder des murs et des prisons ! Femme- regard et femme-voix."

Aujourd’hui, le temps de la reconnaissance et de la transmission est venu. Assia Djebar a vécu à Paris, ville-monde, pendant de longues années. Et juste retour des choses, Paris qu’elle aimait tant, va lui rendre l’hommage qu’elle mérite pour avoir fait rayonner la langue française et son académie. De nombreuses personnalités seront présentes au Petit Palais-Musée des Beaux-arts, ce mercredi 10 février 2016: Laure Adler, Michelle Perrot, Maissa Bey, Daniel Mesguich, Djurdura, Mireille Calle-Gruber, Amel Chaouati comme des passeurs, pour perpétuer l’écho de "l’inconsolable" Assia et de "l’intransigeante" Djebar.

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