La nouvelle diplomatie de l’Arabie saoudite

L’accélération fut presque aussi brusque qu’inattendue. La mort du roi Abdallah et l’arrivée de Salman fut un tournant aiguë dans les choix stratégiques et diplomatiques du royaume. La famille régnante s’est recomposée et le pouvoir a été redistribué à travers une subtilité toute orientale, difficile pour l’observateur étranger à décoder. Tant elle renvoie à des lignages compliqués et des positions de forces politiques et économiques obscures.

Par Mustapha Tossa

Les choix diplomatiques du royaume ont été visibles et concrets. L’opération militaire menée à la tête d’une coalition pour mater la rébellion chiite au Yémen, considéré par Ryad comme un véritable faux nez iranien dans ce pays voisin, a parfaitement illustré le tournant. Cette guerre que les saoudiens ont mené aux iraniens sur le territoire yéménite, a eu une conséquence immédiate sur les conflits à l’intérieur même de la famille sunnite.

De la relation de compétition ouverte et des antagonismes larvés entre l’Arabie et le Qatar, la guerre du Yémen et l’arrivée du roi Salman a rapproché les deux puissances. Leur intérêt vital à tenter de mettre fin à l’expansion iranienne dans la région les a inévitablement rapprochés. Un grand point de friction demeure même si au fil des mois il a perdu de son intensité, c’est la relation avec L’Egypte d’Abdelfatah Sissi. Le Qatar n’a toujours pas avalé la démarche putschiste de l’armée égyptienne qui a envoyé le président démocratiquement élu Mohammed Morsi en prison et criminalisé le mouvement de Frères Musulmans. Démarche que l’Arabie Saoudite du roi Abdallah avait inspirée, protégée et financièrement parrainée. Sur la crise syrienne, si les deux pays font la constat identique de la nécessité de faire chuter le régime de Bachar al Assad, ils y vont par des voies différentes et parient sur des groupes radicaux aux agendas souvent croisés.

La relation entre l’Arabie saoudite et son allié le plus stratégique et le plus intime, les Etats-Unis d’Amérique est en train de vivre une séquence troublée. Ryad ne semble pas avoir pardonné au président américain Barack Obama sa précipitation à vouloir absolument conclure un compromis politique sur le nucléaire iranien. Le constat saoudien est le suivant: non seulement ce compromis va faire de l’Iran à terme une puissance nucléaire, ce qui signifie en termes stratégiques lui garantir une suprématie militaire dissuasive, mais la levée de sanctions internationales sur l’Iran prévue dès la signature de cet accord à la fin du mois de juin va donner au régime iranien d’immenses moyens financiers et donc militaires pour continuer à nourrir sa capacité de nuisance et conforter son expansion dans la région.

Cette difficile relation avec Washington sembla être aussi à l’origine d’une stratégie saoudienne de diversifier les alliances et de multiplier les soutiens internationaux. C’est ce qui explique cette soudaine ouverture sur la Russie de Vladimir Poutine et cette brusque envie de faire des affaires avec Moscou. C’est ce qui explique surtout ce rapprochement avec la France à laquelle le vice-prince héritier, ministre de la Défense Mohamed Ben Salman vient de rendre une importante visite couronnée par la signature des gigantesques contrats dans le domaine militaire, nucléaire ou des transports.

Dans toutes ses démarches internationales, Ryad semble obsédée par cette volonté d’adresser des messages d’amertume et de déception à l’adresse de Barack Obama. Moscou comme Paris fonctionnent comme des caisses de résonance vis-à-vis de leur grand allié américain obnubilé par le compromis sur le nucléaire iranien au risque de faire pencher la balance stratégie au profit de leur adversaire historique. Sans oublier que dans sa volonté de faire passer la pullule iranienne, Barack Obama, par imprudence ou par calcul, a tenu à adresser un message d’une grande clarté aux pays du Golfe en assurant qu’ils sont plus menacés par leurs oppositions internes et leurs contestations domestiques que d’un hypothétique danger iranien. Ce qui avait eu le don de rajouter de la colère froide à une glaciale amertume.

"Le royaume d’Arabie saoudite est actuellement l’objet d’une verticale entreprise de déstabilisation". C’est en tout la profonde conviction d’une grande partie des responsables saoudiens. Ils en veulent pour preuve les dizaines de milliers de câbles diplomaties publié sur le site de Wikileaks. Ils sont le fruit d’une grande opération de piratage des ordinateurs du ministère des affaires étrangères et quelques services de renseignement. Les documents publiés décrivent la manière avec laquelle les saoudiens gèrent les réseaux de relations à l’étranger, leurs tentatives d’influencer les médias et d’acheter des allégeances. Un travail de lobbying tout ce qu’il y a de normal n’était-ce la puissance financière du royaume qui lui donne de vertigineuses propositions.

Le royaume est aussi l’objet d’attaques d’un corbeau saoudien sur Twitter et qui se cache sous l’identité Mujtahidd . Ce compte Twitter que certains assurent être une source proche de la famille régnante, affole la toile avec ses tweets en arabe souvent considéré par les spécialistes de l’Arabie comme étant bien informé. Mijtahidd qui dispose de presque deux millions d’abonnés, balance sur la famille royale, sur le gouvernent, sur les antagonismes au sein du nouveau pouvoir. Il s’avère une précieuse source qui mélange entre l’information politique précise et la saillie déstabilisatrice. Aidé par l’anonymat des réseaux sociaux, ce corbeau saoudien joue sur les nerfs de la nouvelle direction et lui impose un agenda d’une nouvelle nature.

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