La guerre a porté un coup fatal au plus célèbre hôtel de Syrie (REPORTAGE)

Indifférent au bruit des balles des tireurs embusqués et des obus qui s’abattent à proximité, le propriétaire du plus célèbre hôtel de Syrie est déprimé: la guerre l’a contraint de fermer après un siècle d’existence.

Dans le centre d’Alep, Armen Mazloumian, 63 ans, sirote son café sur la terrasse de l’hôtel Baron. La ligne de front séparant les forces gouvernementales et les rebelles n’est qu’à quelques mètres.

Fondé en 1911 par son grand-père, dont il porte le nom, l’hôtel a longtemps été le plus huppé de cette grande ville commerçante, industrielle et historique. C’est là que l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser prononça un discours en 1958, et que la romancière Agatha Christie rédigea dans les années 1930 deux de ses livres les plus lus: "Le crime de l’Orient-express" et "Meurtre en Mésopotamie".

Mais le Baron a cessé d’accueillir des clients depuis que les rebelles se sont emparés d’une partie de la cité en juillet 2012.

"Cela fait presque quatre ans que la guerre a commencé et je ne vois rien qui m’incite à l’optimisme, bien au contraire. Je ne crois pas que l’hôtel rouvrira. Je suis très triste, mais que puis-je y faire?", se désole cet homme souffreteux, mal rasé et coiffé d’un bonnet en laine bleu.

Armen Mazloumian est le dernier représentant de quatre générations d’hôteliers arméniens. Son arrière-grand-père Krikor avait ouvert dans la seconde moitié du XIX è siècle un premier hôtel à Alep, nommé Ararat, comme le mont qui culminait dans l’Arménie historique et aujourd’hui en Turquie.

Dans le lobby, sur un mur jauni, une affiche publicitaire des années 1930 rappelle la belle époque: "Hôtel Baron, l’unique hôtel 1è classe à Alep. Chauffage central partout. Confort parfait. Situation unique. Le seul recommandé par les agences de voyage".

Mais aujourd’hui, tout semble désuet, décrépi et poussiéreux. La réception, les téléphones en ébonite, le bar en bois ciré et meublé de bouteilles d’alcool vides, le toit perforé par des obus qui laisse passer l’eau, et ses chambres qui abritent aujourd’hui des réfugiés.

Et pourtant…


– "Les belles années sont derrière nous" –

En un siècle, les personnalités politiques, les artistes, les comédiens mondialement célèbres y ont défilé, pour se restaurer ou dormir.

La suite 201 fut celle du fondateur de la Turquie moderne, Kemal Atatürk, la 215 fut attribuée à Fayçal Ier roi de Syrie puis d’Irak et la 202 à Lawrence d’Arabie. Agatha Christie préférait la 203. "Je l’ai rencontrée en 1959 mais j’étais trop jeune pour savoir pourquoi elle était si importante. Elle venait chaque année avec son mari, l’archéologue Max Mallowan", qui fouillait sur les sites de Chagar Bazar et de Tell Brak, dans le nord-est de la Syrie, de 1935 à 1938.

"Il y a tellement de personnalités qui sont venues ici que si je commence à vous les énumérer, je n’aurai pas fini avant demain matin", assure Armen Mazloumian. Il cite pêle-mèle le milliardaire David Rockefeller, Charles de Gaulle, qui a offert un banquet en 1941, des têtes couronnées mais aussi l’aviateur Charles Lindberg ou le chanteur Charles Aznavour.

"Mais tout cela c’est désormais du passé. Honnêtement, l’hôtel ne sera jamais plus ce qu’il a été", soupire-t-il, tout en caressant son chien Sacha, un terrier noir russe.

Situé dans le secteur gouvernemental près du Musée d’Alep, fermé depuis le début de la guerre, l’hôtel jouxte le quartier rebelle de Boustane a-Qasr, d’où proviennent les tirs. "Vous pensez que tout cela va s’arrêter? Cela prendra des années…".

Désabusé, Armen Mazloumian ne voit pas ce qui pourrait sauver le Baron de l’abandon. "Pour qui faut-il le laisser? A l’humanité? Mais l’humanité est devenue sauvage. Regardez ce que fait chaque jour Daesh (acronyme en arabe du groupe Etat islamique)", qui agit avec une brutalité inouïe en Syrie et en Irak. "Non, conclut-il sombrement, les belles années sont derrière nous".

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