La croisade antimusulmane du moine Wirathu, à deux mois des législatives en Birmanie

En Birmanie, les discours de haine du moine bouddhiste Wirathu s’insinuent jusqu’en politique : à deux mois des législatives de novembre, des centaines de milliers de musulmans se retrouvent privés de droit de vote et même le parti de Suu Kyi a renoncé à présenter des candidats musulmans.

Recevant l’AFP dans son fief de Mandalay, la deuxième ville du pays, le moine le plus célèbre de Birmanie explique passer ses nuits sur son ordinateur, à diffuser sur les réseaux sociaux les images des violences commises à travers le monde par les terroristes islamistes.

"On ne peut pas faire confiance aux musulmans. Ils ne font pas de politique pour participer au bien général, ils veulent le faire pour prendre le contrôle du pays sournoisement", assure celui qui se voit comme une vigie contre la menace d’une islamisation de la Birmanie, pays ultra-majoritairement bouddhiste.

Son hyperactivité médiatique en a fait un des principaux aiguillons de la haine antimusulmane en Birmanie, qui a conduit à des émeutes meurtrières en 2012.

Historiquement, les 5% de musulmans de Birmanie ont été intégrés à la vie publique de cette ancienne colonie britannique. Mais, depuis l’ouverture au monde de l’ex-Etat paria, la boîte de Pandore de l’intolérance religieuse s’est ouverte et ils sont de plus en plus marginalisés.

Wirathu, moine le plus connu de la mouvance extrémiste MaBaTha, a passé plusieurs années en prison à l’époque de la junte, pour ses appels à la haine, avant d’être amnistié après la dissolution de la junte en 2011.

Aujourd’hui, plus influent que jamais, il se félicite de la "victoire" que constituent la récente loi restreignant les mariages interreligieux et la privation du droit de vote frappant des centaines de milliers de musulmans de la minorité rohingya.

En mars, la Birmanie a en effet révoqué les cartes d’identité temporaires de centaines de milliers de rohingyas, les privant ainsi de droit de vote.

– Pas de candidats musulmans –

Alors même que les moines –qui sont quelque 500.000 dans un pays de 51 millions d’habitants– n’ont pas le droit de vote en Birmanie, Wirathu et ses partisans apparaissent comme une force politique en coulisses, que ni l’opposante Aung San Suu Kyi ni le gouvernement réformateur au pouvoir depuis 2011 n’osent indisposer.

Ni la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de Suu Kyi ni le parti au pouvoir (USDP) n’ont pris le risque d’avoir des candidats musulmans aux élections législatives du 8 novembre.

La prix Nobel de la paix, récemment critiquée à l’étranger pour son silence sur le sort des musulmans rohingyas, "doit avoir peur" des moines, déplore un membre de la LND, lui-même musulman, sous couvert de l’anonymat.

"Beaucoup de musulmans disent qu’ils n’iront pas voter", ajoute cet opposant.

Les 5% de musulmans du pays pèseront peu lors du prochain scrutin, vu comme un test démocratique pour le pays après des décennies de dictature militaire, et les analystes jugent le silence de Suu Kyi motivée par des considérations électoralistes.

Aung San Suu Kyi a botté en touche lors d’un récent entretien avec l’AFP, en assurant qu’avaient été retenus les candidats ayant "le plus de chance de remporter telle ou telle circonscription".

Celle que les nationalistes bouddhistes dépeignent volontiers comme pro-musulmane malgré son silence s’est néanmoins dite inquiète de "l’utilisation de la religion" par ses ennemis politiques.

"Le virage à droite est très inquiétant… C’est de très mauvais augure pour les musulmans de ce pays", analyste le politologue Khin Zaw Win.

Le moine Wirathu met en garde la LND de Suu Kyi, parti favori pour le scrutin, contre toute tentative de revenir sur la loi limitant les mariages interreligieux, entre autres textes antimusulmans récemment adoptés au Parlement.

"Tout gouvernement qui amenderait ces lois serait renversé", menace Wirathu, se réjouissant de l’absence de candidats musulmans aux législatives: "Nous ne voulons pas d’étrangers au Parlement", insiste-t-il.

Le député musulman Shwe Maung, élu sous l’étiquette du parti au pouvoir, a fait les frais de cette campagne. Ce député rohingya a récemment été retoqué des listes de l’USDP pour les législatives, après que la commission électorale a soudain décidé que ses parents n’étaient pas citoyens birmans.

"Combien de fois devrons-nous montrer patte blanche?", s’insurge dans un entretien à l’AFP celui dont le père est un ancien haut gradé de la police.

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