La Pyramide et le Papillon

Avec grâce et passion, Ghalia Benali, artiste tunisienne, chante Oum Kalthoum. Un hommage à la légende d’Orient dont elle veut élargir l’immense renommée au monde occidental.

La Pyramide et le Papillon
Sur la photo d’ouverture de son site web Myspace, les lèvres de Ghalia Benali sont couvertes par un papillon aux ailes déployées. Sur une autre image, on voit le profil de l’artiste et, à droite, le dessin du papillon qui se mue en figure féminine portant une robe à fleurs, un tronc d’arbre aux racines profondes à la place des pattes ou des jambes. L’univers de Ghalia Benali, chanteuse tunisienne native de Bruxelles, en Belgique, est une alchimie de suggestions. Un entrelacement de sentiments en apparence tout en contrastes, en réalité complémentaires. Images délicates et fugitives pour introduire un peu de poésie dans l’éternité du monde. Ce sens de la légèreté et de l’éphémère qui habite tout ce qui est durable, enraciné.

Esprit visionnaire aux mille et une tentations esthétiques – elle danse, dessine, chante, fait du théâtre –, cette Maghrébine fière de ses origines afro-berbères autant que de sa culture arabo-orientale ou de ses influences européennes ne cache pas ses ambitions. « Peut-être que je ne me bats pas pour les grandes causes, mais je m’occupe des angoisses universelles qui sont au cœur de l’agressivité humaine, dit-elle sur un ton de détermination. Mon engagement politique et religieux est la vie, l’amour. Et la vie doit trouver une issue dans la levée des barrières. Pour cela, il faut être en paix avec soi-même, accepter la différence de l’autre, s’impliquer à fond dans ce jeu de connexion. Voilà ce que j’envisage : connecter deux énergies pour qu’elles ne s’entretuent pas ! »

Lorsque, il y a une quinzaine d’années, Ghalia Benali a posé pour la première fois sa voix généreuse devant le micro, face au public d’un restaurant huppé de Bruxelles, elle était en train de l’établir, ce lien entre deux mondes. « En Belgique, les gens voulaient connaître mon pays. J’ai entendu des musiciens occidentaux qui auraient voulu être des musiciens arabes. Ils avaient besoin d’intermédiaires pour aller à la rencontre des autres cultures. Moi, je maîtrise les deux codes et je pouvais faire le pont. »

Elle a commencé par chanter en arabe, car « on ne peut pas parler du monde arabe d’une façon intellectuelle ». Nostalgique du cinéma égyptien de l’après-guerre, où Samia Jamal et Ferid Latrech égayaient la clientèle des cabarets du Caire, admiratrice d’Abdelwaheb, de Sabah Fakhri ou d’Adib Eddayakh, dotée d’un timbre sensuel et un peu granuleux, la chanteuse sort trois albums entre 2001 et 2008.

Le quatrième, paru en avril dernier, est intitulé Ghalia Benali Sings Om Kalthoum. Oum Kalthoum, la vocaliste-culte du monde arabe, la voix divine formée à l’école des chants coraniques, la militante pro-palestinienne, la petite paysanne joufflue de Tamay al-Zahâyera devenue star mondiale, la préférée de Nasser…

« J’ai essayé de parler d’Oum Kalthoum d’une manière humaine, parce qu’elle était une diva. »

« On ne peut pas chanter Oum Kalthoum, tranche l’artiste. Avec cet album, j’ai parlé d’elle, de ce qu’elle m’a apporté ainsi qu’au monde arabe. J’ai essayé de le faire d’une manière humaine, parce qu’elle était une diva. Elle donnait l’émotion par la force d’une voix évidente, énorme comme une pyramide. Moi, c’est par la tendresse que j’ai voulu la rendre. Mais il fallait que ses chansons m’habitent, que je leur rende cette sensation avec tout mon corps. C’est ainsi que j’ai “expliqué” Oum Kalthoum aux Occidentaux, avant de me produire devant le public arabe. »

Pendant son enfance à Zarzis, en Tunisie, la petite Ghalia regardait la photo d’Oum posée sur la commode de la chambre parentale. Elle la croyait sa grand-mère. Elle en était devenue intime puis, à l’écoute de ses chansons, en avait fait son « école de musique ». Son dernier album est une sorte de retour à l’école. Ghalia Benali a apporté la légèreté de la tendresse à cette immensité chanteuse inscrite dans l’éternité. Comme une caresse qui effleure l’icône, ou un papillon qui se pose sur la pyramide.

Disque : Ghalia Benali Sings Om Kalthoum (Crépuscule Productions). Concerts : le 25 septembre à Kortrijk, West-Vlaan (Belgique) et le 22 octobre à l’Espace Magh, Bruxelles.

Par Luigi Elongui
In Afrique Asie, septembre 2010

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite