La Commanderie des croyants (Imarat Al Moumine) …

Par M. Abdellah Boussouf, Secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME)

Toutes les monarchies de par le monde se réservent des spécificités ancrées dans leur histoire. En Grande-Bretagne, à titre d’exemple, le monarque a le titre de « gouverneur suprême » de l’Eglise anglicane et règne sur plusieurs pays : le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Jamaïque, les Bahamas… D’autres pays comme l’Autriche ou l’empire du Japon se réservent autant de spécificités qui les distinguent et les enrichissent. Ces spécificités puisent leur force dans le cumul de l’histoire et d’un conflit impliquant plusieurs parties, jusqu’à en faire, après plusieurs années, les piliers de leurs identités nationales qu’ils ne peuvent pas abandonner, auxquels ils ne peuvent pas renoncer.

Les spécificités du Royaume du Maroc, puisées dans ses Etats et ses empires qui ont produit ses symboliques religieuses et historiques, en ont fait une exception en nommant son Roi le commandant des croyants (Amir Al Mouminine).

Dans toutes les Constitutions marocaines (1962, 1970, 1971, 1992, 1996, 2011), le Roi du Maroc exerce des prérogatives religieuses inhérentes à l’institution d’Imarat Al Mouminine (la commanderie des croyants). Un titre loin d’être honorifique ou gratuit, mais témoin d’une histoire longue, à commencer par l’Imam Al Shafii, puis Al Mawardi, Al Ghazali, Ibn Khaldoun, Al Baghdadi et bien d’autres savants qui ont puisé dans sa symbolique religieuse et dans les conditions de sa consécration.

Pendant longtemps, et jusqu’à aujourd’hui, les sujets de l’Imamat, le califat, la bayaâ, alimentent les débats sur leur corrélation avec la légitimité religieuse du pouvoir et la reproduction de tous les signes religieux.

C’est ainsi que l’appartenance « Qurashiyye » est une condition nécessaire à la succession du contrat du califat, telle que défini par les « faqihs » et savants musulmans comme Al Baghdadi, Al Mawardi ou Al Ghazali, auteur de la Revivification des sciences de la religion. Malgré l’adoption de cette condition par Ibn Khaldoun, ce dernier aura toutefois trouvé un rempart pour se sauver de l’emprise des sultans mérinides, qui gouvernaient à son époque des populations aux appartenances berbères, en disant que l’imam doit être issu de la partie se caractérisant le plus par l’« asabiyya ».

Cette même condition a fait que le sultan almoravide Youssef ben Tachefine, gouverneur d’un empire tentaculaire, se limite au titre d’« Emir des musulmans et défenseur de la religion » (Amir al Muslimine wa Nasir al-Din) puisqu’il était d’origine berbère. Ceci avait incité les Faqihs andaous à demander à Youssef Ben Tachefine de déclarer son allégeance au califat abbasside « Al-Muqtadir » et de citer ce dernier dans les prêches du vendredi en échange de leur obéissance. Youssef Ben Tachefine avait été obligé d’envoyer un ambassadeur à Baghdad afin de se voir officiellement attribuer le titre de commandant des croyants (Emir Al Mouminine), chose qui lui fut autorisée par le calife abbasside après l’émission d’une fatwa (consultation religieuse) des faqihs de Baghdad, présidés par Hamid Al Ghazali.

La condition de l’appartenance « Qurashiyye » a fait que les sultans ottomans, malgré leur « revendication du grand califat et de la protection de la religion musulmane » (titre 3 de la Constitution turque de 1876), n’ont donc pas osé, tenant compte de leurs victoires dans plusieurs guerres contre les Européens, s’attribuer le titre de commandant des croyants.

En plus des conditions de la suffisance, de la masculinité et d’autres conditions d’ordre éthique, on trouve celle de la connaissance. Une condition si importante qu’elle sera liée par tous les savants musulmans à l’imamat, au sens au l’imam doit être un savant. Ibn Khaldoun en a même fait une condition sine qua non puisque l’imam est amené à appliquer la Chariaa et les sanctions qui s’y affèrent, à incarner le renouvellement, à produire et non à reproduire, car le fait de la reproduction s’oppose à l’esprit de l’imamat.

La Commanderie des croyants, facteur d’unité et d’inspiration

Ainsi, nous réalisons que la commanderie des croyants incarne un facteur d’unité, de force et d’inspiration pour plusieurs sultans marocains auxquelles s’ajoutent les conditions de l’appartenance « Qurashiyye » et la descendance du Prophète (appartenance à Al al-Bayt) qui a constitué une garantie spirituelle à la bonne application des enseignements de la religion musulmane. Pour cela, l’institution de la bayaâ reproduit la symbolique de « bayaât al radwan » (l’allégeance au prophète), que les musulmans ont prêté au prophète lors du traité d’Al-Ḥudaybiya. La bayaâ est alors de « bon présage », un premier pas glorieux dans le règne d’un sultan chérifien, petit-fils du Prophète.

Reproduire la symbolique de la descendance du prophète s’est exprimé plusieurs fois dans l’histoire marocaine : quand le défunt roi Mohammed V avait pardonné aux traîtres, à leur tête El Glaoui. Il s’agit là d’un exemple qui ressemble tant au pardon de son grand-père, notre Prophète, quand Il a dit aux Quraychites « partez, vous êtes libres… ». Les pages de l’histoire ont aussi retenu les mots de défunt roi Hassan II, « la patrie est clémente et miséricordieuse » et la création de l’Instance équité et réconciliation (IER) qui a incarné le pardon et la paix avec le passé, sous le règne du Roi Mohammed VI.

En dépit de tous les bouleversements, tous les écueils, et malgré la cupidité de la colonisation, les sultans marocains ont tenu à exercer leurs pouvoirs religieux et politiques qui leurs sont conférés par le titre de commandant des croyants, dont la proclamation du « jihad » pour la libération du pays et sa reconstruction, « du petit jihad au grand jihad »… comme avait dit le défunt roi Mohammed V … qui avait incarné la commanderie des croyants sous une forme réaliste quand il a lui-même accepté l’imamat de la prière à la grande mosquée de Tanger, le 11 avril 1947.

Les accumulations littéraires et de la jurisprudence et les pratiques effectives dans la réalité a fait du Roi du Maroc, d’une part, le calife d’un état islamique et le commandant des croyants car il est le Qurashiyye, descendant du Prophète, à qui respect et égards sont dus, comme stipulé dans l’article 46 de la constitution de 2011… Les atteintes à la vie ou la personne du Roi ou des membres de la famille royale sont punies ainsi par les dispositions du droit pénal (à partir de l’article 163).

A ce titre, il est l’unique responsable des intérêts de la nation, des droits des individus et des groupes et le défenseur de la Chariaa, ses racines et ses ramifications, il est le pouvoir suprême. D’autre part, il est le Roi d’un Etat moderne, encadré par une Constitution et des lois qui le définissent comme une monarchie constitutionnelle démocratique, où les responsabilités sont partagées par les partis politiques, le parlement, et les autres institutions de l’état moderne.

L’article 41 de la Constitution, ou est stipulé que « Le Roi, Amir Al Mouminine, veille au respect de l’Islam. Il est le Garant du libre exercice des cultes. Il préside le Conseil supérieur des Oulémas. Le Conseil est la seule instance habilitée à prononcer les consultations religieuses (Fatwas) officiellement agréées », définit clairement le rôle du commandant des croyants, sa présidence du Conseil supérieur des Oulémas et son monopole de l’institution de la « fatwa ».

Que le Roi se réserve, à lui seul, le titre de la commanderie des croyants, est une zone de lumière dans l’image du Maroc à l’étranger. C’est d’ailleurs bien cela qui a expliqué le contenu du discours royal du 20 août 2016, en réponse aux actes terroristes qui ont terni l’image de l’Islam et des musulmans en Europe, en particulier ceux d’origine marocaine. Dans ce discours, le Roi, Amir Al Mouminine, avait appelé à s’ériger contre « la prolifération des obscurantismes répandus au nom de la religion » et rappelé que « l’appel au Jihad est du ressort de la Commanderie des Croyants, et qu’il ne peut émaner d’aucun individu, ni d’aucun groupe », invitant musulmans, chrétiens et juifs à « dresser un front commun pour contrecarrer le fanatisme, la haine et le repli sur soi sous toutes les formes ».

Le Maroc a essayé de promouvoir son image religieuse à travers l’institution de la commanderie des croyants, d’abord par le biais du malékisme modéré, puis par le juste milieu ashaarite qui s’oppose fermement à l’extrémisme et à la haine, ceci en entreprenant plusieurs initiatives comme la « Déclaration de Marrakech sur les droits des minorités religieuses dans le monde islamique » en janvier 2016.

Cette Déclaration a considéré la « charte de Médine » (Sahifat al Madina) comme base de référence pour garantir la protection des droits des minorités religieuses en terre d’Islam et invité « les institutions académiques et les magistères religieux à réaliser des révisions courageuses et responsables des manuels scolaires, de sorte à corriger les distorsions induites par cette culture en crise qui, outre l’incitation à l’extrémisme et à l’agressivité, alimente les guerres et les dissensions et sape l’unité des sociétés ».

Les dispositions de la Déclaration de Marrakech ont d’ailleurs été prises en compte par « le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes », qui a organisé la première caravane multi-religieuse pour la paix, le 2 mai 2017 à Abu Dhabi.

Ceci est la preuve de la positive et forte image religieuse du Maroc à l’étranger, confortée par le discours du Secrétaire général des Nations Unies, M. António Guterres, le vendredi 14 juillet 2017 à New York, à l’occasion du lancement du plan d’action de Fès sur le rôle des chefs religieux dans la prévention de l’incitation à la violence, au génocide et à la radicalisation. Le Plan d’action de Fès est le résultat de deux ans de consultations menées avec des chefs religieux de différentes religions à travers le monde, dont les premiers éléments ont été adoptés à la capitale spirituelle du Maroc, Fès, en 2015.

*(Texte traduit de l’arabe)

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