L’inquiétante fragilité de l’opposition libyenne

On ne savait pas grand-chose de lui, sauf qu’il était le chef militaire de la rébellion libyenne. Qu’il était l’un des rares à avoir l’expérience du pouvoir, qu’il avait de l’autorité, bref qu’il semblait être l’un de ceux sur lesquels on pouvait compter pour l’après-Kadhafi.

Le général Abdel Fatah Younès a été assassiné jeudi 28 juillet à Benghazi, "capitale" de cette rébellion qui depuis cinq mois tente de mettre fin à la dictature de Mouammar Kadhafi.

Les faits sont encore mal établis, mais ils augurent mal de l’avenir. Le Conseil national de transition (CNT), qui regroupe l’ensemble des opposants libyens, a attribué l’assassinat à "un groupe d’hommes armés" à la solde du régime de Tripoli.

Si cette version est vraie, elle n’est guère rassurante. Elle semble indiquer que des agents de Kadhafi sont présents dans le fief même du CNT. Ils y opéreraient en toute impunité, capables de frapper à la tête de la rébellion au moment précis où celle-ci paraît de nouveau gagner du terrain.

L’autre hypothèse n’est pas moins inquiétante. C’est celle d’un conflit au sein du CNT, de rivalités qui pourraient prendre un tour sanglant – avant ou après l’effondrement éventuel du régime de Tripoli.

Les divisions ne sont pas rares au sein d’un rassemblement comme le CNT. Tous les mouvements armés en lutte contre une dictature sont passés par là: querelles idéologiques, jalousies de personnes et autres affrontements de clans.

Coalition hétéroclite et peu structurée, le conseil regroupe pêle-mêle des islamistes, opposants de toujours à Kadhafi, des laïcs, une partie de la bourgeoisie commerçante, des ralliés de fraîche date, les uns et les autres également divisés selon de complexes et vieilles lignes de fracture tribales. L’ensemble est fragile et fait douter des capacités du CNT à exercer le pouvoir.

Assassiné avec deux colonels, également ralliés à la rébellion, le général Younès, ex-ministre de l’intérieur et vieux compagnon de Mouammar Kadhafi, était membre de la tribu des Obeidi, l’une des plus puissantes du pays.

Dès l’annonce de sa mort, des membres armés de cette tribu se sont livrés dans Benghazi à une démonstration de force et d’intimidation à l’encontre d’autres éléments du CNT.

Celui-ci ne peut que sortir affaibli de cette affaire, et cela risque de renforcer la main de Tripoli pour imposer un règlement politique à la rébellion. Car le CNT, s’il n’a cessé de gagner en légitimité internationale, donne toujours l’image d’un mouvement désorganisé: absence de direction politique ferme et capacités militaires limitées, en dépit du soutien de l’OTAN.

Cela concerne la France au premier chef. Elle a, la première, reconnu et assuré la promotion du CNT. Avec Londres, elle a poussé à l’intervention militaire aux côtés du CNT. C’est une politique défendable et qui a ses mérites. Mais l’engagement français nous rend comptables, au moins partiellement, du comportement du CNT. Et nous implique dans l’avenir de la Libye. Mieux vaut le savoir et le dire.

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