L’inquiétante agonie de Bouteflika

Par Mustapha Tossa

Lorsque sur les plateaux de la télévision internationale, un avocat du régime algérien tente de défendre le régime de Bouteflika et sa maladie handicapante, il sort cet élément de langage devenu « un must » dans toutes les stratégies de défense : « Nous n’avons pas besoin d’un champion de karaté pour occuper le fauteuil présidentiel… Et puis regardez l’histoire …Roosevelt avait dirigé d’une main de fer la puissante Amérique depuis un fauteuil roulant ». Cette saillie est censée annihiler toutes les critiques à l’égard d’un régime qui a fait sciemment le choix de mettre à sa tête un grand malade et de continuer à vendre la démagogie de l’exercice naturel du pouvoir.

L’autre versant de cette défense accentue la contre-attaque sur un point qui se veut essentiel Malgré l’handicapante maladie du président, le pays entier est en train de rouler à son rythme. Les années de guerre et d’instabilité sont derrière. Et aucune grande contestation au sein du pouvoir dont l’institution militaire est la véritable colonne vertébrale. Et pourtant si impertinente soit cette comparaison, elle ne parvient pas à clore le débat, celui d’un pays, tendu, en pilotage automatique et arc-bouté sur ses certitudes et ses conservatismes.

L’Algérie du président Bouteflika offre ce visage d’un pays qui cumule les ingrédients d’une vive tension dont la déflagration nationale peut avoir un dangereux impact régional. La couleuvre du quatrième mandat n’a pas encore été digérée que déjà se profile à l’horizon la grande farce du cinquième mandat. Ce débat sur les capacités du Bouteflika à gérer les affaires du pays prend une ampleur inédite ces derniers semaines alors que se développe dans les réseaux sociaux et dans certains médias algériens la nécessité d’entamer les procédures d’empêchement en application des dispositions de la constitution.

De l’aveu de nombreux observateurs, l’Algérie d’aujourd’hui affronte trois défis majeurs. Le premier consiste à répondre à cette question presque taboue : comment maintenir au pouvoir un homme dont la capacité à l’exercer est manifestement défaillante au point de se livrer à des jeux de cours qui le pratiquent par procuration comme l’avait spectaculairement démontré l’épisode de la mise à l’écart aussi rapide que forcée de l’ancien Premier ministre Abdelamajid Tebboune?

Le second comment continuer à acheter la paix sociale en subventionnant généreusement de nombreux secteurs sociaux alors que la facture énergétique en baisse laisse une maigre, voire inexistante marge de manœuvre. Le dernier est celui de la guerre contre le terrorisme, l’institution militaire algérienne, muette, compacte, traversée par des courants et des intérêts antagonistes, n’a jamais réellement clarifié ses multiples postures sur le sujet alors que le feu terroriste saccage le voisin libyen et fait peser sur l’ensemble de la région du Sahel une menace de déstabilisation permanente.

La situation politique en Algérie est une source première d’inquiétude pour l’ensemble de la région. Combien de rapports écrits dans le secret des enceintes du pouvoir en Europe alertent sur les possibles conséquences politiques et sécuritaires d’une mauvaise succession en Algérie ? Les médias en Europe qui s’intéressent à cette Algérie si imprévisible pointent avec un grand marqueur l’entêtement du président Bouteflika à mourir sur son fauteuil présidentiel et son incapacité atavique à organiser de son vivant une transition politique susceptible de rassurer. Certains commentaires vont jusqu’à souligner la tentation suicidaire d’un président et de son clan dont le message principal adressé aux Algériens comme aux alliés et aux voisins : Apres moi et ma personne, le déluge et le chaos. Cette inquiétante agonie du président Bouteflika préfigure une non moins inquiétante descente en enfer de tout un pays.

Devant cette situation, la machine de propagande présidentielle algérienne s’ingénie à mettre en œuvre des mises en scène pour convaincre l’opinion algérienne et internationale sur le président est toujours conscient de ses responsabilités et de son rôle, même si son incapacité à revoir des leaders internationaux vide cet exercice de toute sa substance. Le pouvoir algérien, transformé pour l’occasion en fabriquant d’illusions se trouve en permanence sur ces gardes pour tenter de convaincre d’une normalité. Et quand l’enjeu principale de tout le protocole présidentiel est de convaincre d’une normalité introuvable, cela donne une grande idée sur la calcification de ce pouvoir et du degré d’autisme dans lequel il tente d’enfermer tout un peuple et toute une région.

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