L’étonnante renaissance d’une farce satirique exhumée du ghetto juif de Terezin

En 1943, un garçon de 14 ans interné dans le ghetto juif de Terezin près de Prague se moquait des nazis dans une pièce de théâtre de sa composition. Ce texte clandestin vient d’être exhumé par une doctorante française, qui l’a édité et rêve de le faire jouer sur les planches.

Dans "On a besoin d’un fantôme", le jeune Hanus Hachenburg décrit un tyran grotesque, secondé par une "garde des saucissons brutaux". Ce roi analphabète, désireux que ses sujets "pensent comme lui", les terrorise en s’emparant de leurs ossements et leur promet "la mort éternelle au feu infernal".

L’auteur de cette courte pièce, pleine de lucidité et d’humour, a été gazé au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau en 1944, quelques jours avant son 15e anniversaire.

Son oeuvre témoigne "d’une voix singulière, parce qu’il a osé la caricature et la satire dans un contexte de mort omniprésente et parce qu’il a eu l’audace de vouloir faire rire ses camarades", souligne Claire Audhuy, une artiste de théâtre qui a découvert ce texte par hasard dans les archives du camp de Terezin (actuelle République tchèque) et qui vient d’en publier une traduction française.

Terezin, où le jeune Hanus fut déporté à l’âge de 13 ans, et où il écrivit clandestinement cette farce en sept actes pour marionnettes, était un camp d’internement utilisé par les nazis en partie à des fins de propagande: ils y autorisèrent la création artistique, afin de persuader l’opinion internationale que les juifs étaient bien traités.

Situé au nord de Prague, le camp de Terezin (Theresienstadt) était aussi un lieu de transit avant une déportation vers Auschwitz ou d’autres camps d’extermination. Plus de 150.000 juifs sont passés entre 1941 et 1945 par cette forteresse alors entourée de profonds fossés remplis d’eau: 34.000 périrent sur place et 87.000 furent déportés ensuite vers d’autres camps.

C’est dans ce contexte que des adolescents juifs, dont Hanus Hachenburg, produisirent à Terezin un journal clandestin, intitulé "Vedem" ("Nous menons").

– ‘Ubu, c’est Hitler’ –

Ses rédacteurs étaient "assez intelligents pour savoir comment ils allaient probablement terminer", analyse l’un d’eux, George Brady, qui a survécu et vit aujourd’hui à New York, d’où il a récemment préfacé la pièce de Hanus.

Après guerre, environ 800 pages de "Vedem" ont été retrouvées et archivées au mémorial de Terezin. C’est là que Claire Audhuy, qui rédigeait une thèse en arts du spectacle consacrée au "théâtre dans les camps nazis", a exhumé l’oeuvre du jeune Hanus, admirative devant cet exemple de "théâtre concentrationnaire clandestin, où l’humour devient une arme de vérité".

De son vivant, cette pièce n’a jamais été montée sur les planches, mais l’auteur en a fait une lecture publique devant ses camarades du ghetto, un soir de 1943. Dans les décennies suivantes, la pièce est restée très largement inconnue, puisqu’elle n’a été jouée qu’en 2001 en Afrique du Sud, puis en 2011 à Prague, par des étudiants tchèques. Claire Audhuy espère désormais lui donner une autre visibilité grâce à cette première traduction française et la sortie d’une édition illustrée avec des dessins parus dans "Vedem".

En février, la pièce a été jouée par des lycéens de Genève. En avril, elle le sera par des élèves strasbourgeois, "fiers et très émus de porter le message d’Hanus", selon leur professeur de français, Patricia Kleindienst. Les lycéens ont choisi une mise en scène "totalement grotesque et ubuesque, car ici, Ubu c’est Hitler", raconte l’enseignante. Ils "sont très frappés que l’auteur, qui avait leur âge, ait pu vouloir rire de choses aussi graves".

Claire Audhy espère que d’ici à 2016, cette oeuvre singulière pourra sortir des lycées et être jouée sur les planches pour un plus large public.

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