Khairat El-Shater, le vrai pharaon d’Égypte

Businessman richissime, ce numéro deux des Frères musulmans serait le maître à penser du chef de l’état. Avec un objectif : l’instauration du califat.

Khairat El-Shater, le vrai pharaon d’Égypte
Il serait celui qui murmure à l’oreille de Mohamed Morsi. Khairat El-Shater serait aussi le véritable dirigeant de la confrérie des Frères musulmans. Officiellement numéro 2 du mouvement, l’homme de 62 ans est entré dans la lumière en se portant candidat à la présidentielle de 2011. Balayé par le pouvoir d’alors parce qu’il sortait tout juste de prison, il est très vite retourné dans l’ombre. Laissant sous les feux de la rampe Morsi, une "roue de secours", un apparatchik falot et sans charisme, qui devint le premier président islamiste élu dans l’histoire égyptienne.

Mais la "roue de secours" est-elle en train de s’affranchir de la tête pensante? Les initiés et les spécialistes des Frères musulmans ne vont pas si loin mais s’accordent à dire que, en effet, ces derniers jours, des tensions sont apparues au sein du bureau dirigeant de la confrérie. "Il y aurait même eu une altercation entre Morsi et Shater, raconte, Alaa Azmi, journaliste qui travaille depuis des années sur les Frères. L’un disant à l’autre : ‘Mais qui est à la tête de l’État, c’est toi ou moi?’ J’ai quand même du mal à croire que Morsi s’émancipe à ce point. Parce que Shater reste vraiment l’homme fort de la confrérie."

Un virage vers un islam dur à partir de 1970

Au départ, Khairat El-Shater est communiste. Ingénieur, sorti de l’université de Mansoura, il se rend à Londres en 1970. Le virage vers un islam dur est pris à ce moment-là, comme un autre radical, une décennie plus tôt, l’inspirateur des thèses d’Al-Qaida, l’intellectuel Sayyed Qotb. Ce dernier, après un séjour américain, reviendra ulcéré et radicalisé à vie après avoir vu autant de fesses et de seins s’étaler un peu partout dans les publicités américaines. Shater semble avoir connu la même transformation, avec une différence de taille : il pense mais sait aussi compter. Il devient un redoutable businessman.

En rentrant de Londres, il passe une dizaine d’années chez les Frères avant de s’installer dans les pays du Golfe. Il y fait fortune et dans les années 1980, il scelle son destin avec un homme qui domine la scène islamiste à ce moment-là, Mustapha Achour, un adepte de la violence. Il fonde l’Organisation internationale des Frères musulmans et installe une sorte d’antenne économique à Munich, en Allemagne. Puis Achour bat le rappel de la diaspora "Frérot" et demande à Morsi (aux États-Unis à ce moment-là), au cheikh Abdus Sattar Fathallah (qui fut le professeur de Shater) et enfin à Kairat El-Shater qu’ils rentrent en Égypte, combattre le "tyran Moubarak". Shater va mettre son talent d’homme d’affaires au service des Frères. Il crée une société informatique, Salsabi, qui domine très vite le marché égyptien mais qui lui permet surtout de monter une véritable banque de données sur tous les membres et sympathisants de la confrérie. Puis il attrape dans ses filets le ministère de la Défense, les services de renseignement et l’Intérieur. L’homme devient trop dangereux, le président déchu Moubarak confisque sa société et le jette en prison pour cinq ans, en 1993. À sa sortie, il disparaît pour la seconde fois des écrans radar.

Il entretien de bonnes relations avec les salafistes

Son nom revient en 2006. Il est rentré au pays et est accusé de blanchiment d’argent. Trois ans plus tard, seconde accusation : il financerait le Hamas."Non, c’est faux, assure le journaliste Alaa Azmi, mais il tient l’économie des Frères et il a de très bonnes relations avec la diaspora, notamment avec Youssef Nada, en Suisse et Ibrahim El-Zayat, en Allemagne, qui est le responsable de 600 mosquées, en Europe. Shater a financé toute l’aide apportée aux musulmans de Bosnie, en 1992, et en a retiré une certaine réputation." Sur le plan intérieur, Shater cultive de très bonnes relations avec les salafistes (son inclination naturelle) et avec le parti de la Jamaa Islamiya (une mouvance de la maison mère). "Il a des hommes partout, poursuit, Alaa Azmi. Il s’est aussi occupé de l’éducation chez les Frères, en changeant le contenu des livres de classe. Des camps de type militaire sont organisés pour les enfants. Ils prient mais pas seulement."

Parce que Khairat El-Shater a un projet, un grand projet : instaurer un califat, qui inclurait notamment la Tunisie et la Syrie. "Oui, cela reste l’objectif majeur des Frères", affirme, sans sourire, Mohamed El-Kassas, 38 ans, et qui fut pendant dix-sept ans cadre du mouvement. Il y a un an, il rejoint les rangs de la révolution, espérant que le courant réformiste auquel il appartient au sein des Frères musulmans, va l’emporter. Las. "Il n’y avait rien à attendre d’eux." Aujourd’hui, il est membre d’Al-Tayyar Al-Masry (le parti du courant égyptien), une jeune formation fondée en juin 2011 et qui réclame une séparation de l’État et de la religion. Parce qu’au fond, Mohamed connaît les Frères de l’intérieur et sait leur objectif : "Le califat, mais pas celui de 632. Non, ce sera un califat avec les moyens de notre époque, avec des coalitions politiques. Mais que ce soit Morsi, ou probablement Shater qui est le véritable homme fort, les Frères viennent de commettre une erreur politique. Ils se sont précipités. Ils divisent le pays. Eh bien, voilà, nous sommes là dans la rue, parce qu’il faut toujours se méfier des Frères musulmans."

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