Khaddafi, Saddam, le chaos d’après…

L’air du temps politique est aux regrets et à l’autocritique. De nombreux éditorialistes de la presse internationale n’hésitent plus à verser dans ce qui peut s’apparenter à une bouffée de nostalgie et de remise en question. Et le cœur de la problématique est parfois exposé avec une candeur qui en dit long sur le désarroi actuel.

Par Mustapha Tossa

Si Georges Bush ne s’était pas entêté à démanteler l’Irak de Saddam Hussein sous l’artificiel prétexte de lutte contres les armes de destructions massives, aurions-nous assisté à la naissance de "l’Etat Islamique" dont l’agenda terroriste aux ambitions globales ferait presque passer Oussama Ben Laden pour un vulgaire gestionnaire d’enseigne terroriste opportunément franchisée ?

Si Nicolas Sarkozy n’avait pas activement mobilisé la communauté internationale pour faire tomber le rais Libyen Mouammar Khaddafi sous le fallacieux prétexte de protéger les civils de Benghazi, aurions- nous crée cette nouvelle Libye devenue un supermarché à ciel ouvert des trafiquants d’armes, une terre d’accueil et de transit pour fondamentalistes en herbes et terroristes conformés ?

L’ironie de l’histoire est qu’avant que ces accélérations politiques n’aient lieu, de nombreuses voix s’étaient déjà levées pour tirer la sonnette d’alarme et décrire le paysage chaotique à venir. Ces voix que la fibre militarisée qui avait inspiré les mésaventures irakienne et libyennes avait qualifiées au mieux d’une légendaire lâcheté, au pire d’une grande complicité avec les dictatures, reviennent aujourd’hui pour redire leur implacable vérité. C’est le cas en France de l’ancien premier ministre Dominique De Villepin dont la posture est venue rappeler la myopie et parfois l’autisme politique de ses parlementaires américains.

Aujourd’hui, au Machrek, l’Irak et son état défaillant sont devenus un facteur de grande déstabilisation. Si défaillant qu’un groupe terroriste, l’Etat islamique, auquel les adversaires arabes de Bachar El Assad avait confié les missions de sales besognes semble avoir trouvé en terre irakienne de quoi se renforcer et amplifier sa voilure. Aujourd’hui il ambitionne de réécrire par la terreur la géographie des États. Elle menace l’Irak, la Syrie, le Liban et les pays du Golfe.

Au Maghreb, l’interminable guerre entre fractions armées qui se disputent le contrôle du territoire libyen, a provoqué un chaos inédit. L’onde de choc a largement dépassé les frontières libyennes. À l’est, elle traverse l’espace maghrébin via la Tunisie et l’Algérie pour parvenir jusqu’au Maroc. A l’ouest, elle fait planer sur l’Egypte voisine une sourde menace. Au Sud, elle donne un grand coup de fouet aux inquiétudes de déstabilisation de cette effervescente région du Sahel, la profondeur africaine de la Lybie.

Au Maroc, la crainte de voir l’étincelle terroriste libyenne avoir des réverbérations sur le sol marocain fut prise très au sérieux au point que le pays procède à un déploiement inédit de son arsenal de défense anti aérien pour protéger des sites sensibles contre d’éventuelles attaques. Pour justifier une telle posture, la presse marocaine avait relayé des informations sensibles de services occidentaux selon lesquelles à l’approche du 11 septembre, l’organisation terroriste "L’Etat Islamique" s’apprêterait à commettre des attentats spectaculaires dans des pays arabes pour célébrer, voire dépasser dans une logique de concurrence symbolique l’héritage terroriste d’Al Qaïda.

Ces deux expériences irakienne et libyenne et leurs conséquences néfastes sur les grands équilibres du monde influencent directement les choix des grandes puissances quand il s’agit de procéder à des changements de régime. Déjà un des grands bénéficiaires de cette nouvelle donne n’est autre que le président syrien Bachar Al Assad. Il faut lire à ce sujet l’excellent éditorial de la plume vedette du New York Time Thomas Friedman intitulé "Will The ends, Will the Means" en date du 19 Août.

Ces erreurs stratégiques qui ont transformé des pays certes jadis contrôlés par des dictatures en terroir de l’instabilité et de la production terroriste. Par manque d’anticipation, l’Irak fut livré à la guerre sectaire et à la radicalisation confessionnelle. Par manque de suivi et d’intérêt, la Libye fut offerte sur un plateau aux réseaux de la terreur. D’ailleurs une organisation comme l’Etat Islamique se verrait bien y prendre racine pour transformer le pays en rampe de lancement à l’exécution de son agenda.

La grande conclusion qui s’impose est qu’on a échangé un ordre autoritaire et sanglant par un désordre chaotique et déstabilisant. Le grande défi qui attend les puissances occidentales directement responsables de la création des conditions de ce désordre, États-Unis, Grande-Bretagne et France, est de trouver la meilleure manière, sinon de le réparer, du moins de limiter les dégâts. Des interventions au sol semblent être exclues par Washington et Paris. Des frappes ciblées ont montré leur inefficacité et les pressions politiques et diplomatiques leurs limites. C’est dire à quel point les grands spécialistes de la sécurité internationale ont de longues journées migraineuses devant eux.

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