Joyeux ramadan J-24: « P… de socialisme ! »

– Par Narjis Rerhaye –

Ce soir-là, tu l’avais senti aux dernières minutes qui précèdent les coups de canons annonçant la rupture du jeûne et l’appel à la prière d’Al Maghrib. Comme on dit aux infos, généralement avant d’annoncer un bain de sang, une paix précaire régnait dans le salon beldi de ta mère. Toute ta tribu a répondu présente à l’un des tous derniers f’tours de la saison. Ils étaient venus ils étaient tous là, avec leurs djellabas en soie fluide et coupe ultra-moderne et babouches de chez Gucci pour les femmes, les jabadors en soussdi aux couleurs improbables pour les hommes.

L’élégance du ramadan n’empêche pas les règlements de compte. Dans ta famille, on ne se dispute pas, on discute politique. Ce qui signifie exactement la même chose. C’est ton père qui le premier ouvre le feu, genre tirs amis qui font des dégâts de manière inopinée, zaama. Il savait qu’il allait provoquer un carnage avec son air de ne pas y toucher, mais il l’a fait quand même. Ta mère ne le lui pardonnera jamais. Et elle continuera de le lui reprocher pendant plusieurs lunes…

« En France, le parti socialiste a essuyé une cuisante défaire. Et dans les minutes qui ont suivi les résultats, le premier secrétaire du PS a démissionné. Il n’a pas essayé, lui, de négocier des portefeuilles ministériels et un deuxième mandat à la tête du parti après avoir perdu les élections. C’est toute la différence entre les vrais partis et ceux qui ne sont que des façades de partis, des partis vidés par leur chef de toute substance ».

Sous les lustres de cristal italien du salon de ta mère, il n’y avait pas besoin que la lumière soit. Tout le monde avait compris que ton père avait osé la comparaison PS Vs USFP. En ces jours de fin ramadan où les portes du ciel, sont, dit-on, ouvertes, une telle comparaison avait comme un parfum de provocation. Ton grand-père, en bon istiqlalien, qui ne s’est jamais remis de la scission qui a donné naissance à l’UNFP, s’engouffre dans la brèche ouverte par ton père pour enfin régler ses comptes et 50 ans d’histoire. « Le seul leader qui a été capable de démissionner chez les socialistes marocains, c’est Youssoufi. Et des Youssoufi, l’histoire n’en produit qu’un seul tous les siècles. Dans le même temps, Lachgar a inventé un nouveau concept politique : qui perd gagne. Que veut le peuple, mis à part manifester après les tarawih ? Et toi tu t’attends à ce qu’il démissionne, baz ! ».

Heureusement que ta grand-mère, Hajja Meftaha, n’est plus de ce monde. Elle n’aurait pas du tout, mais alors-là pas du tout, accepté ce raccourci entre « tarawih » et manifestations. Elle s’est toujours fait fort de dissocier politique et religion. Cela a même été l’un de ses principaux reproches faits à Abdelilah Benkirane qu’elle avait un jour croisé dans le hall du théâtre Mohammed V à l’occasion d’un concours de psalmodies de Coran. Il avait souri puis ri d’un rire gras et sonore avant de lui rétorquer que, parole de crocodile, « le PJD est inchallah un parti comme les autres ». « Intaha Al kalam », avait alors répondu ta grand-mère qui avait malheureusement disparu avant de donner sa voix au parti de la lampe.

Dans le salon de ta mère, la paix précaire avait du mal à se maintenir. Il était dit que les usfpéistes allaient polluer l’atmosphère et le ftour de celle qui t’a mise au monde. « C’est quoi cette lubie de demander aux chefs de partis qui ont perdu les élections de démissionner parce qu’ils auraient soi-disant failli ? Mais on n’est pas la France, nous. Ni la Grande-Bretagne, ni l’Espagne. Nous avons nos spécificités, il faut savoir les respecter », a lancé ton oncle qui a fait son coming out quant à son appartenance au Mouvement populaire.

Ta mère a eu un regard plein de reconnaissance en direction de ton oncle. Mais son f’tour était déjà gâché. P… de socialisme !

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