Joyeux ramadam J-29: métier « guetteur de lune »

– Par Narjis Rerhaye –

Tu ne sais évidemment pas si Aid Al Fitr tombe dimanche ou lundi. Ce que tu sais par contre de science certaine c’est que, selon les calculs des astronomes, les Marocains devront jeûner 30 jours et qu’ils pourront faire librement pitance, à toute heure de la journée à partir de lundi.

En attendant, c’est samedi et c’est canicule, et après ta grasse mat’, tu n’as pas grand-chose à faire. Alors tu penses à tous ceux qui sont en charge de surveiller la lune pour annoncer la bonne nouvelle aux fidèles. C’est certes un métier saisonnier mais qui a tout son intérêt. Tu t’imagines lançant dans les salons r’batis que ta profession c’est « guetteur de lune ». Ca en jette. Ta grand-mère, Hajja Meftaha, que Dieu l’accueille en sainte miséricorde, aurait été si fière de toi. Son petit-fils n’est pas dans la lune comme lui reprochaient ses maitresses du primaire, mais il surveille la lune et ses quartiers pour annoncer le début et la fin du Ramadan. Ca ne nourrit pas son homme –parce que tu imagines qu’un tel métier est interdit aux femmes et que le ministère des habous et des affaires islamiques a déjà suffisamment à faire avec ses morchidates, son atout islam moderniste zaama.

Ta mère te sort de tes pensées et de tes plans d’avenir. Guetteur de lune c’est peut-être poétique, un bon plan pour impressionner quelques-unes, mais en attendant tu es développeur et ton père a payé suffisamment cher pour ça. Ce soir, Madame ta mère reçoit pour son dernier ftour de la saison et elle compte sur toi pour n’évoquer aucun sujet qui fâche. Tu ne parleras point du hirak, de Zefzafi, du gouvernement, du ministre de l’intérieur, du PAM, de Benkirane. Tu sais que ça va être difficile, que ça limite à mort les sujets de discussion et que le ftour de ta mère risque d’être bien silencieux. Tu obtempères pourtant parce que le paradis se trouvant sous les pieds de celle qui t’a mise au monde est à ce prix.

Générique de fin pour un ramadan qui s’achève sous un soleil de plomb. Ta tribu est au grand complet autour de la table du ftour. Ta tante dite bent l’ONEP pense déjà à ses vacances. Elle n’est pas « kounouz biladi » ni Costa del sol. Trop commun pour elle. Elle s’interdit d’être comme ces parvenus, dit-elle, qui ont fait fortune dans le textile, route de Mediouana. Cette année, elle s’envolera pour une destination méditerranéenne qu’elle tient pour le moment secrète. Ta tante a toujours eu une peur panique du mauvais œil… « La modernité, explique-t-elle, n’empêche pas les croyances ». Résultat, elle croit à toutes sortes de choses aussi invraisemblables les unes que les autres. La nuit tombée, elle ne fait jamais couler de l’eau chaude. Elle ne passe jamais sous une échelle. Elle ne siffle jamais à l’intérieur de sa maison.

Ta communicante de cousine y a toujours vu un signe de sous développement culturel. Elle qui brave tous les interdits depuis qu’elle s’est fait son hirak toute seule, elle ne croit pratiquement à pas grand-chose. Au grand dam de sa mère qui se demande comment elle va marier sa rebelle de fille. Ta cousine qui est dans la provoc permanente parle de son coin de Paradis dans l’Atlas et d’une maison d’hôtes dont tu retiens vaguement le nom « Titrite … »

Ton grand-père, l’istiqlalien pas repenti malgré toute la chabatisation de sa famille politique, est comme absent. Il boit la harira de ta mère en faisant de « grands flchss », comme chantait Brel en parlant de « ces gens-là » qui ressemblent grave à ta tribu.

Tu penses au paradis qui est sous les pieds de ta mère. Alors tu prends de la hauteur en évoquant « les images époustouflantes de beauté du Maroc vu du ciel ». La femme de ton oncle –une slaouie pur sucre- démarre au quart de tour. « Depuis quand Rabat est la ville des corsaires ? Même cela, vous voulez nous le prendre », réplique-t-elle en regardant droit dans les yeux la dizaine de rbatis autour de la table de ta mère. Ton père s’engouffre dans la brèche que tu viens d’ouvrir à l’insu de ton plein gré. « Et si on parlait de ce Maroc vu d’en bas ». Sûr que ta tribu va te manquer d’ici les prochaines lunes…

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