Joyeux Ramadan J-10

– Narjis Rerhaye –

C’est lundi. Et ta semaine commence sur les chapeaux de roue. L’actu a encore fait des siennes ce week-end. Des f’tours familiaux animés en perspective : sûr que ton grand-père- l’Istiqlalien presque repenti depuis que son parti s’est chabatisé, histoire de régler des comptes avec la famille Fassi – grand-père, fils, oncle, gendre, cousin- va se lâcher ce soir.

En attendant, c’est ta mère qui n’arrête pas de t’appeler sur tous tes numéros : opérateur historique, Orange, Inwi. Tu imagines que c’est grave. Quand celle qui t’a mise au monde et dont tu es définitivement la prunelle de ses yeux t’appelle de manière convulsive, c’est qu’il y a le feu dans le lac. De guerre lasse, tu finis par répondre, prenant ta voix réunionnite aigüe. La meilleure amie de la tante de ta mère vient de l’informer qu’une grosse huile du secteur de la santé a été arrêté et écroué pour tentative de corruption. L’info est sûre. L’arrêté en question, c’est le mari de la cousine de l’amie de Flana. Argument irréfutable : si Flana le dit… Tu n’as pas pris ton café. Tu n’as pas fumé. Avec cette nouvelle, tu as déjà un « hirak » dans la tête.
Le matin-même, les informations de ta mère se sont confirmées.

Ce n’est plus radio médina. A la radio, l’arrestation du DG de l’Agence nationale de l’assurance maladie est annoncée avec force détails. Corruption, extorsion, 400 000 dhs, marché public : ta mère qui n’a pas fait son droit mais qui a du bon sens est persuadée que ce haut responsable que les médias présentent comme « le gendarme des assurances maladie » risque gros. « Et dire qu’il est de gauche, un ittihadi zaama », soupire ta génitrice, le soir venu au f’tour familial organisé chez la tante de ton père. Il n’en fallait pas plus à ton grand-père pour sortir de son silence et montrer à toute l’assistance que ses cordes vocales se portent très bien, hamdoulillah. «Parce que maintenant être usfpéiste, c’est être au-dessus de tout soupçon. Ma fille, tu me fais rire avec ta naïveté. Quand les chevaux restent dans les écuries et que les tocards galopent, c’est bien le signe du début de la fin ». Ton grand-père a toujours adoré traduire les adages populaires, leur donnant une nouvelle vie, les faisant passer de la darija au français. Quant à la naïveté de ta mère, tu n’y crois pas une seconde. Depuis qu’elle est encartée au PPS, Nabil Benabdallah lui fait croire dur comme fer que la gauche peut encore représenter une alternative. Comme c’est ta mère et que le paradis est sous ses pieds, tu ne veux pas casser ses illusions ni démentir le leader du PPS.

A l’heure des viennoiseries et du café, le mari de la tante de ton père en profite pour faire son coming out. Il n’est ni à l’USFP ni au PPS et encore moins à l’Istiqlal –ce qui lui aurait accordé quelque circonstance atténuante auprès de ton istiqlalien de grand-père. Non, il est au Mouvement populaire.
Haraki pour les arabisants, ce qui ne change strictement rien à l’affaire. Il a attendu ce dixième jour béni de ce mois sacré de Ramadan pour l’annoncer à toute ta tribu. Le coming out du mari de la tante de ton père est une vraie mauvaise surprise. Heureusement que Hajja Meftaha n’est plus. Une telle mésalliance l’aurait achevée. Ton grand-père quitte la table, sauvé par ses Tarawih. Toi, tu ne sais pas pourquoi mais tu penses à Saadeddine El Otmani et tu te demandes comment il gère avec les harakis. Personne ne t’a rien demandé. Tu ne connais pas le chef de gouvernement. Tu ne l’as jamais rencontré. Mais tu te fais du mouron pour lui, question mésalliance.

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