Jordanie: les Frères musulmans déstabilisés par une crise interne

La récente autorisation délivrée par les autorités jordaniennes à un groupe dissident des Frères musulmans provoque des tensions entre la confrérie et le pouvoir, accusé de manœuvrer pour affaiblir la principale force d’opposition du royaume.

Le gouvernement a approuvé en mars la création d’une formation dissidente des Frères musulmans, née d’une scission au sein de la branche de la confrérie et baptisée…. Association des Frères musulmans.

Ce groupe, emmené par l’ancien numéro 1 de la branche historique, a expliqué avoir agi notamment pour couper les liens avec la confrérie en Egypte, berceau du mouvement déclaré illégal par le pouvoir du Caire et dont des milliers de membres croupissent désormais en prison.

Il a été autorisé à peine un mois après la condamnation du numéro deux des Frères musulmans à un an et demi de prison pour avoir critiqué les Emirats arabes unis après qu’ils aient inscrit le mouvement islamiste sur leur liste noire.

La branche historique, dont la vitrine politique, le Front de l’Action islamique (FAI, légal), est la principale organisation d’opposition en Jordanie, a immédiatement accusé le gouvernement de vouloir semer la zizanie.

Mauvaises intentions

"Il semble qu’il y ait des intentions qui ne soient pas bonnes", a déclaré à l’AFP un porte-parole des Frères musulmans, Badi al-Rafaia, "mais nous souhaitons que l’Etat ne cherche pas la confrontation".

La confrérie estime que les autorités maintiennent un voile d’ambiguïté sur son statut et tentent de l’empêtrer dans des litiges juridiques.

Selon l’analyste Mohamed Abou Romman, les autorités jordaniennes ont voulu donner l’impression que la confrérie mère était illégale, en donnant progressivement de la légitimité à la nouvelle formation.

Le numéro un des Frères Musulmans en Jordanie, Hammam Saïd, a expliqué de son côté que la Confrérie évitait de "s’engager dans des batailles qui ne serviront personne dans ce pays".

Dernière offense en date, les Frères musulmans ont dû annuler récemment à la dernière minute un rassemblement à Amman après une interdiction qui leur a été notifiée par les autorités.

Cette décision a été prise sur une demande des "nouveaux" Frères musulmans, a affirmé à l’AFP le porte-parole du gouvernement, Mohamed al-Momani.

"Une association des frères musulmans autorisée par la loi" a refusé que le rassemblement se tienne en son nom, ce qui a impliqué l’interdiction de l’évènement, a-t-il dit.

Dans un communiqué, la branche historique a regretté "des mesures gouvernementales visant à mettre des obstacles" à l’organisation de leurs festivités, et a accusé "certains" de "pousser le pays vers la crise".

"’Grave erreur" politique

Plusieurs experts jugent aussi que la stratégie du gouvernement est risquée, au moment où le royaume mène une "guerre contre le terrorisme" sur plusieurs fronts, notamment au sein de la coalition conduite par les Etats-Unis contre le groupe Etat islamique.

"L’Etat n’a pas intérêt à entrer en confrontation avec la confrérie en ce moment", juge Oreib al-Rentawi, directeur du centre privé Al-Qods pour les études politiques.

"Il commettrait une grave erreur s’il fait usage de ses outils sécuritaires, juridiques ou administratifs pour faire gagner un groupe au dépend de l’autre", selon lui.

D’autant que la stratégie mise en place ne semble pas la meilleure, estime Mohamed Abou Romman. "Le pouvoir se retrouve face à un dilemme en misant sur un petit groupe sans poids politique ni popularité", qui a en plus perdu d’emblée "toute crédibilité en raison de son adoption par l’Etat".

A cela s’ajoute, selon l’analyste, le risque qu’une confrontation entre le pouvoir et la Confrérie mère ne conduise à une "radicalisation" des islamistes.

L’Etat a tous le moyens légaux pour affaiblir les Frères musulmans, abonde l’observateur politique Labib Kamhaoui.

"Mais politiquement, ce serait une grave erreur" car "la bataille des Frères avec l’Etat fait partie de celle pour la démocratie. Il faut que l’Etat lève la main sur la vie des partis", dit-il.

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