Islam et République française : le « dialogue » s’organise

Une instance créée après les attentats de janvier doit démontrer, selon Manuel Valls, que l’islam est « compatible » avec les valeurs républicaines.

Image de l’islam, construction de mosquées, formation des imams, pratiques rituelles : le gouvernement réunit pour la première fois lundi une large « instance de dialogue » destinée à renouer le lien avec des musulmans qui ne manquent pas de sujets d’inquiétude. Signe des espoirs que l’État place dans cette initiative, son lancement rassemble à 10 heures Place Beauvau quatre membres du gouvernement dont son chef, Manuel Valls, Bernard Cazeneuve (Intérieur), Najat Vallaud-Belkacem (Éducation) et Fleur Pellerin (Culture).

En déplacement à Mayotte samedi, le Premier ministre a évoqué un « grand défi des années qui viennent : faire la démonstration que l’islam est totalement compatible avec la démocratie, avec la République, avec l’égalité des hommes et des femmes, avec le dialogue ». La création de cette instance avait été annoncée quelques semaines après les attentats djihadistes de janvier qui ont ébranlé la première communauté musulmane d’Europe, estimée à quelque cinq millions de membres, pratiquants ou non. Depuis, les préfets ont tenu des réunions de préparation auxquelles ont participé cinq mille personnes, des plus laïques jusqu’à quelques fondamentalistes salafistes.

« Réunir un forum d’échanges réguliers »

L’exercice est délicat pour le gouvernement qui, en vertu de la loi de 1905, n’a pas vocation à organiser les affaires internes d’une religion, fût-elle la deuxième de France. « Il ne s’agit pas de créer une organisation nouvelle des Français de confession musulmane, ni de constituer une enceinte de négociation devant déboucher sur des décisions immédiates », a prévenu le ministre de l’Intérieur dans la lettre adressée aux invités. L’idée est plutôt de « réunir un forum d’échanges régulier » – une, voire deux fois, par an – en s’inspirant de l’« instance Matignon », réduite à quelques évêques, née en 2002 pour l’Église catholique. L’« instance Beauvau » des musulmans est beaucoup plus large, afin de coller à la réalité d’un islam de France très largement sunnite, dépourvu de clergé et fragmenté.

Plus de 120 personnes – présidents des conseils régionaux du culte musulman (CRCM), responsables de fédération, recteurs de mosquée, imams, aumôniers, théologiens, personnalités de la société civile -, sans compter les représentants des pouvoirs publics, doivent participer à cette première journée de débats. Des soufis tenants d’un islam mystique aux prédicateurs rigoristes du tabligh en passant par l’élite plus ou moins conservatrice des Frères musulmans, des « blédards » (nés à l’étranger) aux convertis, un grand éventail de sensibilités et de profils est annoncé.

Quatre rapports présentés

Dalil Boubakeur, président sortant du Conseil français du culte musulman, sera l’un des premiers à s’exprimer. Une manière de montrer que le CFCM, éreinté pour ses défaillances, ses querelles internes sous le poids des logiques consulaires (Algérie, Maroc et Turquie) et son manque de représentativité, est « au coeur de l’instance », selon Beauvau. Devant l’impossibilité de désavouer une structure élue, l’Intérieur a choisi d’élargir le cadre du dialogue. Bernard Cazeneuve devrait conclure cette première réunion par quelques annonces ou confirmations, selon son entourage : obligation d’une formation universitaire civique et civile d’un an pour les nouveaux aumôniers, ou encore contrôle de la maîtrise du français pour les imams détachés par des pays étrangers.

Auparavant, quatre rapports auront été présentés, fruits d’autant d’ateliers thématiques. La sécurité des lieux de culte musulmans, dont un millier sont désormais protégés, et l’image parfois dégradée de l’islam dans les médias feront l’objet d’une première table ronde. Une autre approfondira la question de la construction et la gestion des mosquées, qui sont au nombre de 2 500 (simples salles de prière comprises), sans compter 300 projets en cours, souvent très difficiles à mener faute de financements. D’autres travaux concerneront la formation et le statut très perfectibles des aumôniers et imams.

Les pratiques rituelles relèveront d’un dernier forum : la certification contestée du halal, le nombre insuffisant d’abattoirs, les critiques relatives à l’organisation du pèlerinage à La Mecque ou le manque de carrés musulmans dans les cimetières municipaux sont parmi les préoccupations premières des fidèles. La prévention de la radicalisation djihadiste, en revanche, ne fera pas l’objet d’un atelier. Placer cette première journée sous un « angle sécuritaire » aurait pu « être vécu comme une forme de stigmatisation », glisse-t-on dans l’entourage du ministre.

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