Il faut renoncer au débat sur la laïcité

Ni la défaite de son camp aux cantonales, ni la progression du Front national, ni les déchirements de sa majorité n’ont fait changer d’avis le président de la République. Annoncé depuis des semaines et organisé par l’UMP, le débat sur la laïcité et la place de l’islam aura lieu, comme prévu, le 5 avril. Nicolas Sarkozy semble considérer qu’il n’y a rien de plus urgent.

Plus que jamais, pourtant, ce débat est inopportun et déplacé. Inopportun parce qu’il ne répond pas aux préoccupations principales des Français, qui portent sur le pouvoir d’achat, le chômage, la précarité, les inégalités ou la recherche de ce que Jean-Paul Delevoye, le Médiateur de la République, appelle " la solidarité de proximité ". " Notre société, écrit-il dans son dernier rapport, doit retrouver le chemin des valeurs, sinon ses tensions internes seront suicidaires. "

Déplacé, car ce n’est pas à la République, et encore moins à un parti politique, de codifier les religions, dès lors que leurs pratiques ne portent pas atteinte à la laïcité et à la loi de 1905, ou de faire en sorte, pour reprendre la formule du ministre de l’intérieur, Claude Guéant, que les musulmans se sentent " apaisés dans leur foi ".

Dans cette affaire, comme en 2009 sur l’identité nationale, M. Sarkozy court derrière le Front national, avec pour seul effet de nourrir ses thématiques de rejet de l’étranger. Le 10 décembre 2010, Marine Le Pen avait fait un parallèle nauséabond entre les prières des musulmans dans la rue et l’Occupation. " C’est une occupation de pans de territoire ", avait-elle déclaré. Le 15 janvier, le chef de l’Etat, adepte de la " laïcité positive ", avait évoqué " des pratiques religieuses qui interpellent la laïcité ", en pointant essentiellement les musulmans et " les appels à la prière dans l’espace public ". Le 14 février, après une intervention sur TF1, il donnait son feu vert à un débat sur " l’intégration de la religion musulmane dans une République laïque ".

M. Sarkozy a fait fi des inquiétudes et des réticences de son propre camp, à commencer par celles de François Fillon, qui craignait qu’un tel débat " stigmatise les musulmans ". Mardi 29 mars, c’est la Conférence des responsables de culte en France, qui regroupe des responsables du bouddhisme, des Eglises chrétiennes, de l’islam et du judaïsme, qui met en garde, dans un texte publié par La Croix, contre un débat qui peut " susciter des confusions qui ne peuvent qu’être préjudiciables " et comporte des " risques de stigmatisation ". " Le devoir de ceux qui sont "en responsabilité », écrivent les signataires, consiste à éclairer le chemin et à élaborer des solutions conformes au bien de tous. N’ajoutons pas de la confusion dans la période trouble que nous traversons. Nous militons ensemble pour une laïcité de bonne intelligence. " Il s’agit d’un appel pour une laïcité qui ne saurait être séparée " de la dignité et du respect de la personne humaine et de sa liberté inaliénable ". Il mérite d’être entendu.

Il est encore temps pour M. Sarkozy de sortir du déni de réalité et d’emprunter un chemin de sagesse en renonçant à un tel débat.

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