Il a fallu cette tragédie pour que l’Egypte ouvre le point de passage de Rafah (R.Malley)

La récente affaire de « la flottille de la liberté » et son lot de victimes parmi les humanitaires, le tollé provoqué par l’attitude d’Israël, l’inertie habituelle des gouvernements arabes, l’absence de condamnations fermes de la part des Etats-Unis et des occidentaux, sont autant d’éléments qui éveillent les consciences et rappellent la dure réalité. Le volet israélo-palestinien du processus de paix est dans l’impasse totale et l’administration américaine, contrairement aux attentes, n’a réalisé aucune avancée significative

L’élection de Barak Obama, il y a un an et demi avait suscité des espoirs, alimentés par ce discours très fort prononcé au Caire, et qui n’a finalement été suivi d’aucun effet. Pour quelle raison la question palestinienne, dont le chef de la Maison Blanche a fait l’une des priorités nationales, n’est toujours pas résolue.

Invité du Cercle des journalistes euro-arabes à Paris, Robert Malley estime qu’un « président révolutionnaire ne veut pas dire politique révolutionnaire». Il regrette, également, qu’il ait fallu cette tragédie pour que l’Egypte ouvre le point de passage de Rafah. «C’est un contre-sens. Il n’y a aucun lien logique entre ce qui s’est passé lundi et la décision du Caire, sauf la crainte égyptienne d’une pression populaire.

R. Malley y voit « un signe de la faiblesse volatile de l’Egypte et du besoin urgent que ce pays a de retrouver une place dans la région». Robert Malley déplore l’attitude des acteurs arabes « qui ont été inaudibles, complètement impuissants et qui semblent attendre des EU, ce qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes. Cette leçon, dit-il, est aussi valable pour eux».

Rupture dans la continuité

La politique de Georges W. Bush au PO et sa position sur le dossier isrélo-palestinien, constamment alignée sur celle d’Israël, avait nuit fortement à l’image des Etats-Unis dans nombre de pays. Son successeur se devait de rectifier le tir.

Selon Robert Malley, « Barak Obama a voulu donner une nouvelle image des Etats-Unis au monde arabe et musulman, en s’adressant directement à eux, en Egypte ou en Turquie, et en exprimant sa volonté de bannir certaines pratiques qui avaient fortement détérioré la réputation et la crédibilité des Etats-Unis, comme la base Guantanamo ». Il constate toutefois que « la vision stratégique et la compréhension du Moyen-Orient et du Proche Orient lui font manifestement défaut ».

Quant à savoir si la première partie de l’ère Obama se démarque de l’ère Bush, la réponse de Robert Malley est claire : « il n’y a pas de rupture ( …), si l’on regarde les fondements de la politique américaine dans la région, dans un sens, c’est une version revue et corrigée de ce que l’on a vu ces dernières années ».

La continuité s’explique selon lui par l’attitude de l’administration Obama, « qui continue de croire en la nécessité de renforcer les ailes modérées des pays arabes pour pouvoir négocier avec Israël et pense toujours opportun de créer un axe de pays sunnites modérés pour faire contrepoids à l’Iran et mener ainsi à bien le processus de paix ».

L’ancien conseiller du Président Bill Clinton regrette qu’à Washington, on reste figé sur l’idée que les piliers de la politique au Proche-Orient, sont des alliés traditionnels des Etats-Unis comme l’Egypte, la Jordanie ou l’Arabie Saoudite.

« Or, depuis l’administration Bush, on assiste à un effritement, si ce n’est un démantèlement méthodique de tous ces piliers. Il relève l’absence totale « d’entité israélienne et d’entité palestinienne cohérentes, pouvant négocier un accord de paix à elles seules ».

Errements tactiques de l’administration Obama

Robert Malley pointe un certain nombre « d’erreurs tactiques commises par une administration qui se cherchait au début et qui a pu, ne pas bien comprendre les nouvelles dynamiques régionales». Il reproche à la Maison Blanche, dans le dossier israélien, de s’être concentrée dès le départ sur deux questions, « qui n’étaient pas les questions du moment, celle du gel de la colonisation, y compris à Jérusalem-est et celle de la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes ». Et de poursuivre, « si la première semblait complètement légitime et légale, la seconde apparaissait comme un leurre ».

Car explique R.Malley, « les pays arabes n’avaient pas en tête l’idée d’améliorer leurs relations avec Israël avant qu’il y ait un geste pour la paix. Quant à l’arrêt des colonies de peuplement, démarche à leur yeux normale, cela ne les aurait pas convaincu puisqu’ils ne se sentiraient pas obligés de payer par la monnaie de la normalisation».

Le raisonnement que défend Robert Malley le mène à s’interroger sur les « capacités des Etats-Unis à rattraper le retard, à reconnaitre enfin les changements intervenus au Proche-Orient, et à s’adapter à la nouvelle configuration ». Il prône le dialogue, la diplomatie et surtout la mobilisation des forces de la région, « que ce soit la diaspora palestinienne, les islamistes, les colons, la droite religieuse israélienne, la Turquie ou le Qatar ».

« Reste à savoir si, au moment où les Etats-Unis vont s’engager, il ne sera pas déjà trop tard. Le navire du PO aura quitté le quai et ce ne sera plus la même situation, le monde palestinien ne sera plus ce qu’il était et Israël aussi aura changé », avertit Robert Malley, d’où selon lui « l’importance pour Washington de prendre en compte les nouveaux rapports de force dans la région, comme en témoigne la montée en puissance de la Turquie ».

« L’épisode de la flottille de Gaza est un microcosme parfait de toutes les tendances évoquées »
L’assaut israélien contre un navire transportant des militants pro-palestiniens, pour la plupart de nationalité turque et ayant coûté la vie à neuf personnes, avait pour objectif principal de venir en aide aux habitants de la bande de Gaza soumis au blocus.

Pour l’expert de l’International Crisis Group, « cette affaire est une illustration de l’état dans lequel se trouve Israël, décalée de la réalité de la région, et de sa très courte vue sur ses intérêts stratégiques. Cela montre aussi qu’elle ne semble pas en mesure de réagir autrement que par des coups ».

Initiée par une organisation turque, la majorité des participants à la flottille de la liberté étaient des ressortissants turcs, tout comme la plupart des victimes. Ankara avait élevé la voix en menaçant de réviser ses relations avec Israël, s’attirant dans un même temps la sympathie de la rue arabe. C’est surtout l’impact de cet arraisonnement qui étonne Robert Malley: «Le plus frappant, c’est que cette flottille, soutenue par la Turquie, pays non arabe, aura plus fait en trois jours pour affaiblir voire briser le blocus contre Gaza ce que ni le Fatah, ni le Hamas n’en auraient fait en trois ans».

Robert Malley Directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’International Crisis Group et ancien conseiller de Bill Clinton

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