Frappes aériennes en Libye: Emirats et Egypte décidés à défendre leurs propres intérêts

Les frappes aériennes en Libye, attribuées aux Emirats arabes unis avec l’aide de l’Egypte, visent à empêcher les Frères musulmans de contrôler la Libye et à montrer à Washington que des pays arabes peuvent agir pour défendre leurs propres intérêts, selon des experts.

Mardi, les autorités d’Abou Dhabi continuaient à observer un mutisme total sur ces frappes, menées secrètement contre des milices islamistes en Libye au cours de la semaine écoulée en utilisant des bases égyptiennes, selon des responsables américains.

Washington, Paris, Londres, Berlin et Rome ont dénoncé des "interférences extérieures en Libye qui exacerbent les divisions" dans ce pays plongé dans le chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011.

"Je pense que (ces frappes sont) le résultat sans surprise d’une impulsion que nous avons vu monter en Libye (…) et dans la région entre l’Egypte et des Etats du Golfe", a déclaré à l’AFP Frederic Wehrey, spécialiste du Golfe, de la Libye et de la politique américaine au Moyen-Orient à l’institut Carnegie Endowment for International Peace.

"Je pense qu’il n’y a pas eu de consultations avec l’Occident", a-t-il ajouté.

Alors que l’Occident a les yeux rivés vers l’Irak et la Syrie, et du fait des réticences américano-européennes à agir contre le régime de Damas, l’Egypte et les Emirats, farouchement hostiles aux Frères musulmans, ont estimé seuls qu’ils devaient "recourir à ce genre d’opérations inhabituelles", a dit pour sa part Abdulkhaleq Abdulla, professeur à l’Université des Emirats et spécialiste du Golfe.

Selon lui, les pays de la région sont de plus en plus convaincus qu’ils "ne peuvent pas dépendre de l’Amérique et de l’Occident" et que "l’Amérique n’est plus fiable".

"Le sentiment dans le Golfe est que les Etats du Golfe doivent prendre leurs affaires en mains", a renchéri Frederic Wehrey.

Cet expert, qui s’est rendu récemment en Libye, a estimé que, depuis le lancement d’une opération en mai par le général Khalifa Haftar, hostile aux Frères musulmans, il y a eu des spéculations sur un soutien étranger, "en particulier de l’Egypte et des Emirats", qui ont vu en lui un "allié local".

Haftar "se voit un peu comme Sissi" (le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi), a dit Frederic Wehrey, ajoutant que l’Egypte, pour sa part, est "inquiète devant la montée des Frères musulmans à sa frontière" avec des mouvements d’armes et d’éventuelles incursions de jihadistes depuis la Libye.

‘Opération combinée’

Les Emirats, alliés des Etats-Unis, mènent aussi une politique de la main de fer contre les Frères musulmans. Ils ont fait condamner des dizaines d’islamistes à des peines de prison et l’un des plus hauts responsables de la police de Dubaï, le général Dahi Khalfan, ne manque pas une occasion pour fustiger la confrérie.

"Il a dû y avoir des raisons irréfutables pour que les Emirats mènent ces frappes en Libye", a souligné M. Abdulla, ajoutant qu’elles "n’auraient pas été possibles sans la coopération de l’Egypte et probablement de l’Arabie Saoudite".

Cet expert a abondé dans le sens de M. Wehrey en affirmant que l’Egypte en particulier est très inquiète devant la possibilité que "la Libye se transforme en un centre de jihadistes".

Sur les aspects opérationnels, Frederic Wehrey a accrédité la thèse selon laquelle l’armée de l’air des Emirats a conduit les frappes, avec le soutien logistique de l’Egypte. Il s’agissait d’une "opération combinée", a-t-il dit.

"Les Emiratis ont la meilleure armée de l’air arabe dans la région. Ils ont reçu un entraînement américain et ont déjà mené des opérations en Libye en 2011 (lors de la campagne internationale contre Kadhafi).

A l’époque, un autre pays du Golfe, le Qatar, rival des Emirats et qui soutient toujours les Frères musulmans, avait participé aux opérations. Emiratis et Qataris appuyaient alors des factions rivales en Libye et ce serait encore le cas aujourd’hui, selon des experts.

Pour M. Abdulla, les frappes d’Abou Dhabi en Libye sont aussi le signe d’une confiance grandissante des Emirats en eux-mêmes et du passage d’un statut de "puissance douce" à celui de "puissance forte".

M. Wehrey "ne pense pas que (les frappes) augmenteront dans l’immédiat la menace (de représailles contre) les Emirats. (En revanche), cela déstabilisera davantage la Libye".

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